A la mosquée Ennour de Gennevilliers
Mohammed Benali
"... Contre le terrorisme" Page d'accueil Nouveautés Contact

Savez-vous qu’un des frères Kouachi avait fréquenté la mosquée Ennour dont nous sommes partenaires depuis de très longues années ?


Solidaires avec la Nation

La situation est difficile à la mosquée de Gennevilliers après les événements de Charlie Hebdo.

Nous avons eu conscience qu’un acte criminel, lâche, barbare avait été commis. Nous nous sommes préparés à affronter des jours très difficiles, à nous armer de patience.

En réalité, à la mosquée, jusque-là on a été épargné du fait que l’armée est venue nous protéger. La Ville avait fait la demande à la Préfecture. Nous ne nous y sommes pas opposés, bien sûr ! On n’a pas reçu de menaces particulières, mais la Préfecture a considéré que comme nous sommes la mosquée la plus importante du Département, nous étions une cible privilégiée. Elle a voulu prendre les devants.

Dès la première heure, nous nous sommes affirmés solidaires avec la Nation. Nous avons participé, un groupe de la mosquée, à la manifestation du 11 janvier. Nous y sommes allés pour défendre la liberté d’expression, pour marquer notre solidarité avec les familles des victimes. Tout cela malgré notre gêne devant ce que publie Charlie-Hebdo. Ses caricatures mettaient de l’huile sur le feu ! La communauté musulmane ne le dit pas, mais elle se sent humiliée par les caricatures. On a eu la sagesse de ne pas s’attarder à ces blessures et nous avons tourné la page. Nous avons opté pour la solidarité nationale.

Courant janvier, on a recensé 116 actes islamophobes. Le double de ce que l’on a dénombré en un an ! La communauté en est très choquée. Beaucoup de musulmans disent qu’ils ne sont pas concernés. Ces gens-là, ces criminels qui ont assassiné l’équipe de Charlie-Hebdo, n’ont rien à voir avec l’islam. Nous n’avons pas à nous excuser. Beaucoup disent : « Plus que jamais et plus que tous les autres, montrons la solidarité des musulmans avec le pays. »

A la mosquée, à la sortie des offices, tout le monde parle de la situation : les enfants ou les jeunes, les adultes ou les personnes âgées, les hommes et les femmes. La peur, l’inquiétude sont là ! On craint d’être agressés, de ne pouvoir pratiquer dans de bonnes conditions, de ne pas pouvoir échapper aux menaces ou aux insultes.

Un des terroristes a habité Gennevilliers. Je ne le connaissais pas personnellement mais il s’était fait remarquer un jour dans la mosquée. Il a interpelé l’imam pendant son prêche : celui-ci invitait les gens à aller s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter. Un groupe de fidèles s’est approché de lui et gentiment l’a fait sortir. Il n’était pas à l’aise dans la mosquée de Gennevilliers. Il n’y trouvait pas le discours le confortant dans ses positions extrémistes. Après cet incident, on ne l’a plus revu.

Il n’avait rien d’ostentatoire : barbe, djellaba par exemple. Il était bien rasé, habillé simplement en jean et tee-shirt.

Il n’avait pas de famille ; il a grandi dans les réseaux sociaux. Ces musulmans marginaux ont tous quelque chose de commun. Ils ont grandi dans des foyers, des familles d’accueil. Ils manquent de repères.


Comment éduquer nos enfants ?

Il n’y avait qu’une seule musulmane de Gennevilliers, dans le rassemblement du 11 janvier : ne pouvant sortir sans leur voile, elles ont peur d’être agressées. La leçon que je tire de ces événements, c’est que malheureusement j’ai l’impression que nous n’avons pas su éduquer nos enfants. Pour ma part, les caricatures de Charlie Hebdo ne me gênent pas du tout. Elles ne troublent pas le respect du Prophète que j’ai dans le cœur. Mais ce qui me gêne c’est que nos enfants n’ont pas compris le vrai message du Coran.

Il y a eu, à Gennevilliers, quelques problèmes au collège. Quelques excités ont voulu se faire remarquer. « Les tueurs ont eu raison. Ils ont bien fait. » A mes yeux, chez des adolescents ce n’est pas grave ; on trouvera toujours parmi eux des cas de ce genre. Mes enfants ont respecté la minute de silence.

A l’école aussi ! Il ne s’agit pas de leur donner des leçons mais c’est un travail d’éducation à long terme. Il faut parler, avec les enfants, sur le respect des valeurs. Il faut leur parler de la France. A mon sens, il y a un problème à l’école. A mon avis, certains enseignants ne font pas bien leur boulot. Ils ne transmettent pas sérieusement ce respect des valeurs comme il convient. Ils maintiennent l’enfant dans ses origines. Ils leur font sentir qu’ils ne sont pas français mais marocains ou algériens. A l’école les enseignants ne forment pas toujours des enfants qui aiment la France. Certains font un travail formidable : le professeur de mon fils me téléphone régulièrement. D’autres font un travail d’enseignement mais pas un travail d’éducation. Ils ne parlent pas de citoyenneté.


La mosquée au service de la citoyenneté

A la mosquée, on essaie de mettre en place une formation à la citoyenneté auprès des enfants. Dans l’éducation religieuse, on intègre une éducation civique. On leur apprend La Marseillaise, par exemple. On parle du drapeau. On explique que la France mérite d’être aimée : «  D’accord, vous avez des origines mais la France est votre pays.» On parle de la laïcité. Je ne prends jamais la parole à la mosquée sans l’évoquer. Je considère, en effet, que la laïcité est une chance extraordinaire pour les musulmans. Grâce à la laïcité, ils peuvent pratiquer leur religion d’une façon honorable. « L’Etoile Nord-Africaine a été créée en 1926 » ; dans son article 2, elle veut « une République algérienne, démocratique et sociale sans distinction de race ou de religion.» Nous avons un régime de ce genre en France.

Mais, à l’école, j’ai l’impression qu’on inculque dans l’esprit des enfants que la laïcité est en contradiction avec la religion. On leur dit, plus ou moins confusément : « Tu choisis entre laïcité et religion, mais les deux sont incompatibles. » L’école est devenue très hostile à la religion. Certains enseignants ne tolèrent pas qu’on aborde le sujet dans la classe, dans la cour ou dans l’enceinte de l’école. Il faut expliquer à l’enfant qu’il peut choisir d’être musulman sans cesser d’être un vrai citoyen. Si on lui dit : «  Tu dois choisir entre laïcité et islam », il dira « Je veux être musulman ! » Si on lui explique la laïcité comme un cadre de respect mutuel, de terrain d’entente, un ensemble de règles où tous peuvent se retrouver, un espoir de vivre ensemble, une garantie pour que chacun pratique sa religion dans la dignité, il vivra aisément dans la laïcité. Si on lui fait sentir que religion et islam sont ennemis, alors il faut qu’il se batte.

La famille ne joue pas toujours son rôle. Parfois elle se sent repoussée de la société. En réalité, dans les familles, surtout dans les plus modestes, on a l’impression d’être rejeté : la société ne veut plus d’elles. On leur demande de garder leur culture à la maison. Ceci isole. La réaction est alors de se radicaliser : c’est un moyen de surmonter l’humiliation. Mais ce n’est heureusement pas le cas de toutes les familles.


Nos réactions après les événements du 7 janvier

Nos prédications, bien sûr, ont abordé la situation, le vendredi précédant le 11 janvier (date du grand rassemblement) et celui qui le suivait. J’ai pris la parole pour une condamnation claire et ferme. Pas un seul musulman ne m’a contredit. C’est un acte criminel ; c’est un acte lâche. Nous sommes solidaires avec les familles. Nous sommes solidaires avec la Nation. J’ai ensuite demandé aux musulmans de ne pas répondre à la haine par la haine, de ne pas tomber dans les pièges des provocateurs. Même si quelqu’un les insulte, qu’ils ne répondent que « de la manière la plus courtoise », comme dit le Coran. Enfin j’ai rappelé qu’il faut être vigilant. Je comprends les inquiétudes (la première semaine, les familles n’ont pas envoyé leurs enfants à l’école coranique, par peur). Il est vrai que, jusqu’à l’arrivée de l’armée, tous les musulmans ont été terrorisés.

Les jeunes, maintenant, et c’est dommage, ne font plus confiance aux imams de France. Ceux-ci ont cessé d’être des références. Pour eux, les imams dignes de confiance sont au Yémen, en Arabie Saoudite, en Irak. On leur téléphone, on les contacte. On consulte les sites internet ; tout le monde peut lire n’importe quoi. On cherche sur Google ; un certain nombre de sites se présentent et chacun dit n’importe quoi. L’imam de France, d’un côté, a perdu sa notoriété et son autorité. D’autre part, les médias mettent sur le devant de la scène certains imams dont les discours sont aberrants. Cela décrédibilise tous les autres. Entre les imams extrémistes du Yémen ou d’ailleurs et ceux qui jouent les vedettes dans les médias, on trouve des hommes sur le terrain qui sont dans « le juste milieu ». Ils transmettent un message de fraternité, de paix, de respect. Mais ils sont dans une situation difficile.


On ne les écoute pas !

Un certain imam dont je tairai le nom a dit un jour, lors des événements, « Ils ont tué Charles ! » Il ne savait même pas ce qu’était Charlie-Hebdo ! Il croyait que Charlie était le surnom d’un homme qui s’appelait Charles ! Comment faire confiance à un homme qui ne voit pas les situations ? C’est une catastrophe, de la part des journalistes, de nous présenter des personnages aussi peu sérieux ! Bien sûr je parle à ces jeunes qui consultent les imams du Yémen. Ils ont leurs arguments. Ils dénoncent l’incompétence de certains imams de France.

Je sais que certaines femmes de La Caravelle consultent aussi ces imams étrangers. Sur les sites où ils s’expriment, la première page explique pourquoi il ne faut consulter personne d’autre qu’eux-mêmes. Ils font la liste des fausses réponses que font les autres. Après ils prétendent donner la seule vraie réponse : la leur !

Peut-être que, dans leurs pays, ces personnages ont raison étant donné les circonstances et le contexte où ils vivent. Mais la France n’est pas le Yémen ni l’Irak ! La fatwa change avec le contexte, l’espace et l’époque. Le grand savant de l’islam, Shafei, a créé l’école shaféite. En réalité, il a deux écoles : l’une en Egypte, l’autre en Irak. Les gens de l’Irak ne vivent pas comme ceux d’Egypte. Il faut une école qui s’ajuste à l’islam de France. Malheureusement, en France, on est en train de tuer l’UOIF. Ils ont des penseurs qui travaillent pour un islam français. La mosquée de Paris ne fait pas ce travail. On trouve de beaux parleurs. Bidar, Benzine, Ghaleb Ben Cheikh, Malek Chabel parlent beaucoup mais ils ne sont pas en contact avec les gens. Leurs idées ne peuvent pas passer dans la communauté, même s’ils plaisent aux non-musulmans. L’intellectuel à prendre au sérieux, c’est Mustapha Chérif. Il est extraordinaire ; il devrait venir à la Mosquée de Paris !

Mohammed Benali


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