Amadou Hampâté Bâ, 1900-1991

Kady Etienne
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Kady Etienne, très engagée dans le dialogue avec les chrétiens, nous livre ici la sève de la pensée d’Amadou Hampâté Bâ et de son maître Tierno Bokar, qui s’efforcent de regarder les hommes à la lumière de l’acte créateur.


Le dialogue doit venir du coeur.

Écrivain francophone, Hampâté Bâ, modèle d’ouverture et de tradition, essaye à travers ses écrits de faire revivre une oralité perdue et de transmettre sa vision du monde.

Enraciné dans la culture africaine et profondément ancré dans la tradition musulmane, il n’en demeure pas moins, peut-être grâce au choc culturel dû à la colonisation, curieux d’autres cultures, tout d’abord en Afrique où les diverses ethnies restent repliées sur elles-mêmes.

Hampâté Bâ, né au début du XXème siècle au Mali, à la croisée des traditions africaines et de la culture occidentale, intègre l’école française vers douze ans où il obtiendra son certificat d’études. Après une formation administrative et bien des péripéties, il sera reconnu par ses supérieurs de l’administration coloniale et obtiendra des postes de responsabilité au sein de la colonie française. Théodore Monod le fera entrer à l’Institut Français d’Afrique noire de Dakar, puis il vient étudier à Paris où il fait connaissance avec Louis Massignon.

Intimement convaincu de l’importance du dialogue, il considère que celui-ci se doit d’être sincère et venir du cœur afin de dialoguer en esprit.

Prônant le respect mutuel dans le dialogue, Hampâté Bâ nous invite à voir dans les yeux de l’Autre notre propre image en miroir.

L’intuition que l’Homme comme la Nature sont le reflet de Dieu, le persuade de la richesse apportée par la diversité, et l’amène à se consacrer à rapprocher traditions et religions car, il croit intensément à un vivre-ensemble qui se voudrait harmonieux.

Citant un vieux maître, Amadou Hampâté Bâ désirait enseigner à la jeunesse africaine une approche empreinte d’empathie de l’identité particulière à chacun dans la rencontre de l’autre pour un dialogue bienveillant.


Se délester des aprioris et des discussions stériles

Hampâté Bâ partait du principe qu’il fallait se délester de ses aprioris et délaisser les discussions stériles. Pour lui, savoir écouter une autre parole que la sienne rend la rencontre d’autant plus fructueuse et enrichissante.

« Il y a ma vérité et ta vérité, or la vérité se trouve au milieu. Pour s’en approcher, chacun doit se dégager un peu de sa vérité pour faire un pas vers l’autre ».

Sa vision prémonitoire de cette fin de siècle où conflits ethniques et violences sous des prétextes religieux font rage, lui fait rédiger une lettre à l’intention de la jeune génération africaine, et les engage, dans un monde où technologie et communication s’accélèrent, à utiliser leurs connaissances au service de la vie et d’œuvrer pour la paix. En voici les premières lignes : À mes chers cadets,

Certes, qu’il s’agisse des individus, des nations, des races ou des cultures, nous sommes tous différents, les uns les autres ; mais nous avons tous quelque chose de semblable aussi, et c’est cela qu’il faut chercher pour pouvoir se reconnaître en l’autre et dialoguer avec lui. Alors, nos différences, au lieu de nous séparer, deviendront complémentaires et sources d’enrichissement mutuel.

De même que la beauté d`un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde. Combien ennuyeux et monotone serait un monde uniforme où tous les hommes, calqués sur un même modèle, penseraient et vivraient de la même façon  ! N’ayant plus rien à découvrir chez les autres, comment s’enrichirait-on soi-même ?


Disciple de Tierno Bokar

Disciple de Tierno Bokar, son maître spirituel, Hampâté Bâ se posait beaucoup de questions sur la diversité et la rigidité des religions.

Dans son témoignage, il nous fait part de ses premières interrogations et l’enseignement reçu de son maître. Il recommande vivement la connaissance des textes religieux et n’hésite pas à les citer. Dans l’Ancien testament, l’Homme a été créé à l’image de Dieu, pour le Nouveau testament ceux qui répandent la paix seront appelés « fils de Dieu », le Coran considère l’Homme comme réceptacle du souffle divin.

Tierno Bokar nous apprend ce que signifie dans le récit coranique la création d’Adam, Dieu décida de créer le premier homme, il s’adressa aux anges  : « Lorque Je l’aurai façonné et y aurai insufflé de Mon esprit, prosternez-vous devant lui. » (38, 72) : « Chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu. Comment oserions mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de Dieu ? » ajoute le maître.

L’islam invite l’Homme à méditer sur sa nature adamique primordiale, à revenir à sa nature pure dans la pré-éternité qui lui a permis de témoigner de la présence divine. « Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam, et les fit témoigner sur eux-mêmes : Ne suis-je pas votre Seigneur ? ils répondirent : Si, nous en témoignons. » (7, 172)

Devant la plupart des musulmans persuadés que tous les non-musulmans iraient en enfer, une angoisse lui dictait de questionner son maître : « Je n’arrivais à comprendre que seuls les musulmans puissent être bénéficiaires de la Miséricorde de Dieu ».


Chaque religion contient une part de vérité

Tierno Bokar considérait que chacune des religions contient une part de vérité qui permet d’affermir sa propre foi. Il lui enjoignit de méditer sur ces réponses et l’exhorta à venir psalmodier cette prière avec ses autres disciples :

« Dieu est Amour et Puissance. La création des êtres procède de cet amour et non d’une quelconque contrainte. Détester ce qui est produit par la volonté divine agissant par Amour, c’est prendre le contre-pied du Vouloir divin et contester sa Sagesse. Exclure un être de l’Amour Primordial , c’est faire preuve d’ignorance… »

« L’infidèle, en tant qu’homme, ne peut être exclu de l’amour divin. Pourquoi le serait-il du nôtre ? Il occupe le rang auquel Dieu l’a élevé. Le fait, pour un homme, de s’abaisser peut entraîner un châtiment sans pour cela l’exclure de la source dont il est issu. »
« …frère en Dieu qui vient au seuil de notre cellule d’amour et de charité, ne bouscule pas l’adepte de Moïse, Dieu Lui-même est témoin qu’il a dit à son peuple : implorez le secours de Dieu et soyez patients… » (7, 128).
« … ne bouscule pas non plus l’adepte de Jésus : « Nous avons accordé à Jésus, fils de Marie, le don des miracles et nous l’avons conforté par le Saint-Esprit » (2, 253).
« et les autres humains, laisse les entrer et même salue les fraternellement pour honorer en eux ce qu’ils ont hérité d’Adam… »

Kady Etienne

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