Au diapason de l'univers
avec le CCFD-Terre solidaire
Assan Ba et Nina Marx

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Le CCFD-Terre solidaire nous aide depuis plus de 20 ans.
Témoins de notre action en un lieu très précis de la Région Parisienne,
Assan Ba et Nina Marx - deux permanents de cette ONG -
perçoivent que nos soucis sont partagés dans tous les coins du monde.

Cohésion sociale :
ce problème est partout fondamental

La Maison Islamo Chrétienne : Vous vous intéressez de très près à nos activités et vous nous apportez un soutien précieux. Pouvez-vous nous en dire la raison ?

Assan Ba
Pour le CCFD, la défense du droit des étrangers a toujours été un enjeu important. Quand je suis arrivé en 2004, on m’a demandé de dégager les axes prioritaires.

D’une part, j’avais à considérer la participation des migrants au développement de leurs pays d’origine. D’autre part, j’avais à veiller à ce que leurs droits fondamentaux soient reconnus. Mais à mon avis, cela ne suffisait pas :il fallait veiller à ce qu’ils fassent société. Il fallait créer les conditions pour que les migrants et ceux qu’ils rencontraient puissent vivre ensemble.

En ouvrant le dossier d’Approches 92, j’ai compris qu’une certaine forme de dialogue, à la fois interreligieuse et interculturelle, devait être privilégiée. Je découvrais une expérience en un lieu précis – une cité de banlieue – où l’on ne se contentait pas de rendre des services à une population défavorisée mais où l’on se préoccupait de cohésion sociale. J’ai été séduit par cette approche originale des relations ; on bâtit une véritable cohésion où la religion fait partie des éléments qui la composent ; les relations se créent à travers l’interculturel et l’interreligieux.

Nina Marx
En arrivant au CCFD, j’ai demandé à Assan pourquoi le dialogue islamo-chrétien était rattaché au Programme « Migrants ». A partir de votre projet, j’ai découvert qu’une certaine façon de comprendre le dialogue permettait d’accéder à une population qu’on ne voit jamais : ces femmes qui demeurent enfermées à la maison. Une certaine forme de dialogue permet la rencontre entre des gens qui habitent une même ville mais ne se rencontrent jamais.

Le partenariat avec Mes-Tissages est monté en puissance à partir du moment où, explorant d’autres parties du monde, nous avons constaté que le problème de la cohésion sociale était partout fondamental. C’est dans cet esprit-là qu’on vous a présenté des partenaires venus d’Afrique du Sud, du Brésil ou d’ailleurs. Le souci de ces partenaires nous a fait prendre conscience qu’en France, certaines populations ne partagent rien ensemble et ne se rencontrent pas.

A ce propos, nous avons une jolie histoire à vous raconter. En mai, nous sommes partis en Argentine. Nous y avons rencontré une association de femmes boliviennes qui se servent du tissage pour rencontrer des femmes d’Argentine. Elles nous ont expliqué qu’elles mêlaient méthodes anciennes et méthodes modernes ; elles nous ont montré comment filer le coton. Assan et moi, nous étions ébranlés de constater que chez vous, à La Caravelle, on se sert du même principe. Ces femmes boliviennes, dans des familles patriarcales elles aussi, trouvent le moyen de se retrouver pour tisser ensemble. Ceci nous renforce dans le partenariat que nous avons à Villeneuve.

Transcender les religions pour vivre ensemble

Assan Ba
C’est en transcendant les religions qu’on arrive à vivre ensemble. C’est votre intuition. En y réfléchissant, j’ai vu la chance que nous avions dans mon pays, au Sénégal. L’appartenance à une vie commune dépasse l’appartenance à la religion. Ceci se produit à l’intérieur des familles elles-mêmes. C’est après avoir réfléchi avec vous que j’ai voulu faire appel à l’abbé Jean-Marie NDOUR. C’est un prêtre de Palmarain où la proportion entre musulmans et catholiques est inversée par rapport à celle du pays. L’ensemble du pays compte 90% de musulmans et 10% de chrétiens. A Palmarain, c’est 70% de chrétiens contre 30% de musulmans. Mais musulmans et chrétiens appartiennent souvent à la même famille. Ils ont le même nom, le cimetière est le même. Deux frères ou deux demi-frères, deux cousins appartiennent à des religions différentes mais cela ne gêne en rien leur vie commune.

L‘abbé Jean-Marie NDOUR est venu. Il a décrit une très jolie scène. La liturgie sénégalaise prévoit, lorsque le futur prêtre est étendu, qu’on vienne le recouvrir d’un pagne. La tradition veut que cette tâche revienne à la tante maternelle. En l’occurrence la sœur de sa mère est musulmane. Cela n’a pas empêché qu’elle tisse elle-même le pagne et vienne le déposer comme il convient au moment prévu de la célébration. Pour ma part, je suis né dans une ville qui est le terrain privé de la Tijâniyya. Les chrétiens sont peu nombreux mais ils ont toujours été présents à nos jeux d’enfants ; pour l’Aïd et pour les fêtes, on fait les mêmes repas.

Chacune de nos deux religions a ses dogmes. Quelle place ceux-ci peuvent-ils avoir dans le dialogue islamo chrétien ?

Assan Ba
Le message de l’islam comme celui du christianisme conduit à la rencontre. Quand on aborde le contenu dogmatique de chacune des religions pour entrer en « dialogue » on recourt à des spécialistes pour déceler les différences entre les croyances. Je ne me situe personnellement pas là. Récemment, en mission au Sénégal, j’étais face à des Spiritains. Au départ la discussion était crispée : ils ne s’attendaient pas à se trouver devant un musulman. On en est venu à discuter un projet d’appui à des familles. La tension s’est dissipée. A la fin, un Spiritain a dit de moi que j’avais un langage universel. Au départ, en effet, ils s’attendaient à un discours dogmatique tout fait. Mon discours n’était pas dogmatiquement musulman. Quand on ne les instrumentalise pas pour alimenter un conflit, les religions permettent qu’on accède à l’universel. Mais le dogme particularise ; la religion, dépassant le dogme, conduit à l’universel.

Une question posée à un niveau mondial.

La présence des immigrés en France, plus largement que la rencontre d’une religion est la rencontre des cultures. Vos voyages à travers les continents vous conduisent à constater qu’il s’agit là d’un problème mondial. Ceci vous donne quelques convictions. Pouvez-vous nous en faire part ?

Nina Marx
« L’immigré est un étranger ou un clandestin ; il pose des problèmes qui conduisent à nous opposer à eux » : telle est la vision sclérosée dont il faudrait sortir. La question se pose à un niveau mondial et le CCFD tente de l’affronter. Comment le phénomène migratoir pourrait-il être abordé avec un regard nouveau et apaisé ? Comment en venir à considérer qu’en réalité l’immigration est une chance pour l’humanité ? Autrement dit : que pourrait être une gouvernance alternative de l’immigration ?

Il nous est apparu que la question du droit et de la citoyenneté était fondamentale mais insuffisante. Quand on se pose la question du but de cette gouvernance, on s’aperçoit que « le vivre ensemble » est le cœur du problème. Comment s’y prendre ? Elle ne peut se réaliser qu’à partir des initiatives individuelles. On s’aperçoit que l’accueil des réfugiés syriens se résout par la façon dont une famille va s’interroger sur la façon de faire une place dans sa maison pour accueillir un jeune qu’elle découvre errant dans la rue. L’expérience de Mes-Tissages, à ce niveau-là, est précieuse. Elle est un maillon de la chaîne. A partir de la rencontre interpersonnelle de quelques femmes, on peut s’élever à un niveau plus large. Notre partenariat avec Mes-Tissages fait partie d’une vision plus globale sur l’avenir du « vivre ensemble » dans notre société et dans le monde.

Assan Ba
A côté du juridique, du politique, de l’économique, le travail de Mes-Tissages pose la question de l’éthique. Il donne sens à la société que l’on veut voir émerger. L’universel ne doit pas en appeler au monde pour que tous viennent à soi. L’universel naît dans l’ouverture à l’autre qui vient et que l’on découvre, dont on respecte la liberté et avec qui on tente de construire ce qu’on peut. Je trouve que le désir d’agir en satisfaisant aux premiers besoins – apporter de la solidarité à des personnes vulnérables – d’y apporter du sens en conjuguant la dimension culturelle et la dimension religieuse qui font partie de leur histoire, est une ouverture à l’universel. A travers l’interculturel et l’interreligieux, on arrive à montrer ce qui nous aide à faire société ensemble.

Une société ne peut tenir sans être métissée.

A propos de « l’autre qui vient et que l’on découvre », que faut-il penser de l’arrivée des réfugiés syriens. Boutros Hallaq dit que le Proche-Orient était le berceau d’une société qui depuis toujours permettait la diversité des religions et des cultures. Il dit que tout cela est aujourd’hui par terre et ne pourra être reconstruit. La question du « vivre ensemble » irrémédiablement compromise ! Qu’en pensez-vous ?

Assan Ba
Des sociétés se déconstruisent où des gens différents vivaient ensemble. On ne peut s’accommoder des destructions massives, des départs de familles entières, des affrontements entre des communautés religieuses. Mais cela nous conforte dans le message que l’on veut faire passer : nos sociétés ne sont rien d’autre que l’agrégation de différentes vagues migratoires et de communautés qui ont choisi de vivre ensemble pour faire société. Les migrants et les étrangers qui se déplacent ne devraient jamais être considérés comme des catastrophes venant détruire notre identité. Les grandes sociétés ont tenu parce qu’elles ont été capables d’intégrer des populations étrangères en élaborant avec elles un projet commun. De voir aujourd’hui les difficultés de l’Europe à accepter d’accueillir les populations qui ont fui la guerre serait plutôt désespérant. Mais l’accueil des populations déplacées se fait aujourd’hui, non pas dans des grands choix politiques, mais par des citoyens touchés par la détresse des réfugiés. Cela peut contribuer à donner du sens à notre action. Cela nous conforte dans le fait qu’une société donnée ne peut être autre chose qu’une société métissée. La mondialisation fait qu’il n’y a pas d’autre issue que d’accepter l’autre, quelles que soient les raisons qui l’ont fait partir et quelles que soient les difficultés que l’on peut traverser. L’avenir est dans la capacité d’une société de faire une place à ceux qui viennent chez elle, à leur reconnaître le droit d’être ce qu’ils sont, appelés à nous reconnaître, eux aussi, pour ce que nous sommes.

Nina Marx
Je crois qu’il faut être optimiste et ne pas s’arrêter à ce que disent les médias et la classe politique. En réalité, les mentalités évoluent. Quand il y a un ou deux ans, on affirmait que les immigrés du Maghreb n’avaient rien à voir avec DAESH, on était pris pour des naïfs. Aujourd’hui ce n’est plus la même chose, même si la montée du FN est réelle. Pendant longtemps, le conflit en Irak et en Syrie, au CCFD, était abordé par rapport au sort des minorités chrétiennes. Aujourd’hui la vision s’est élargie.

Assan Ba et Nina Marx


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