Compte-rendu des activités d'une année
Le bureau de Mes-tissages
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Tous ceux qui étaient présents à l'Assemblée Générale de "Mes-tissages" (la Maison islamo-chrétienne) ont demandé que le rapport d'activités soit mis en ligne. En effet, ce texte rend compte d'une part de ce que musulmans et chrétiens ont réalisé ensemble dans le cadre de notre association. Il illustre aussi l'originalité dans laquelle nous nous situons. Ce compte rendu concerne l'année 2013 mais il est significatif de nos actions chaque année.


- 2013 - Une année comme les autres

Rapport d’activités à faire chaque année : tâche difficile. A s’en tenir à un compte-rendu on risque de se répéter ; il faut se creuser la tête pour découvrir ce qui s’est passé d’original par rapport aux mois précédents.

Une organisation est en place ; elle a rendu service en 2013 comme en 2012.

Dans la cité « La Caravelle » fonctionne un atelier où des femmes maghrébines aiment à se rencontrer pour pratiquer tel ou tel art de faire relevant du textile. C’est utile pour beaucoup : réparer, recoudre voire confectionner des vêtements est une économie non négligeable dans les familles où le budget est mince.

Des Européennes viennent les rejoindre. Elles trouvent un double avantage à la rencontre. Deux façons de voir le monde se croisent ; elles sont différentes mais ne sont pas un obstacle à l’amitié. Par ailleurs elles s’initient aux techniques du tissage. Fatiha, une professionnelle patentée est là pour initier.

L’atelier est surtout un lieu où l’on peut se parler librement. On est assuré d’être écoutées et orientées.

Plusieurs dizaines de personnes se retrouvent chaque jour ; la participation est libre. On n’est pas prisonnier des horaires ni contraint à la régularité. Une centaine de personnes connaissent et apprécient ce lieu que Fatima Tayab sait animer avec intelligence.

Un enseignement qu’on désigne comme une initiation à la civilisation et la langue arabes est proposé à quelque 20 adultes et 50 enfants ou adolescents. Il ne s’agit pas de faire concurrence aux mosquées : ce n’est pas un enseignement religieux. C’est plutôt une façon de pallier ce qui nous semble un manque dans l’Education Nationale : l’arabe fait partie de la culture universelle et n’est pas enseigné dans nos écoles et collèges.

Un site internet permet de rejoindre, par newsletters, 5200 personnes abonnées. Une revue (« La Maison islamo chrétienne ») est tirée à 1000 exemplaires et envoyée à 800 abonnés.

Ainsi rien de particulièrement neuf en cette année 2013. Plutôt que sur les activités, je préfère insister sur quelques acquis, au fil des années et sur les convictions qui nous particularisent.

Si l’essentiel de nos activités se déroule entre La Caravelle et Gennevilliers, quelques membres ont voulu se lancer dans une action locale ; c’est le cas de quelques personnes de Malakoff qui se réunissent tous les mois et qui sont attentifs à rejoindre les efforts de la LDH lorsque surgissent des difficultés découlant des problèmes migratoires.


Des acquis : nos relations

Nous sommes en lien d’abord avec la ville de Villeneuve-la-Garenne et notre place est reconnue à la fois par les résidents de la cité et par le personnel du CUCS (Contrat Urbain de Cohésion Sociale). Même s’ils ne sont pas des « abonnés », toutes les personnes de la Cité pénètrent pour saluer les personnes présentes lorsqu’elles ont l’occasion de passer devant notre local. A ce propos il convient de rendre hommage à Robert, le responsable technique des HLM de La Caravelle, toujours prêt à répondre à nos appels. Si les relations avec la mosquée sont inexistantes, en revanche le contact avec la paroisse catholique est cordial.

Les relations avec la ville de
Gennevilliers, grâce à Saâd Abssi et Mohammed Benali, sont excellentes tant en ce qui concerne les autorités municipales qu’en ce qui concerne la Paroisse et la mosquée. Lorsqu’on s’adresse auprès de nous pour qu’on les aide à comprendre l’islam de France, c’est à la mosquée En Nour qu’on les conduit et l’accueil qu’on y trouve est toujours particulièrement chaleureux. Les fidèles présents nous reconnaissent et viennent nous saluer de façon fraternelle. A signaler, entre autres exemples, une visite d’handicapés : ils furent reçus avec un respect et une affection remarquables.

Les relations avec
le diocèse de Nanterre sont discrètes. Nous tenons à rester laïcs mais nous savons que nous pouvons compter sur lui. La preuve nous en a été donnée lorsque « La fondation Ste Geneviève », récemment, nous a proposé son aide. L’ensemble des diocèses de la région nous connaissent et lorsque, quelque part dans le monde, des chrétiens sont malmenés, nous leur disons notre sympathie ; nous nous attirons alors des remerciements nombreux et sincères.

Nos relations dépassent l’environnement immédiat. Des amis résidant à l’étranger s’intéressent à nos activités. Signalons un
groupe islamo chrétien de Francfort en Allemagne. A deux reprises, ils sont venus nous rendre visite. (Nous avions, Mohammed et moi, rencontré son responsable lors d’un colloque à Madrid).

Signalons également notre amitié avec le frère d’Etienne Subtil,
Xavier, enseignant en Egypte ayant vécu « Le printemps arabe » : il s’est exprimé à propos de notre n° sur « Démocratie et religion ». Enfin le nom de Thierry Becker se doit d’être mentionné. D’origine parisienne, Thierry a opté pour l’Eglise d’Algérie depuis le début de l’indépendance. Il était l’adjoint de Monseigneur Claverie lorsque celui-ci fut tué. Thierry, ami de Christian de Chergé, se trouvait à l’aumônerie du Prieuré de Tibhirine lorsque les moines furent enlevés. A chaque passage en France, Thierry nous tient informé de la condition des chrétiens en pays musulman et ses conseils à Christine et Michel sont précieux. Son expérience de minoritaire dans un pays musulman nous permet de comprendre la situation minoritaire des étrangers, musulmans en particulier, dans un pays laïc comme la France.

Parmi ces relations avec l’étranger, s’impose aussi le nom de
Mustapha Cherif qui tient en grande estime « La Maison islamo chrétienne » et dont la participation à nos « cahiers » n’aura échappé à personne. Il faut insister sur les relations étroites avec Boutros Hallaq, un universitaire syrien vivant en France, Professeur de langue arabe à la Sorbonne nouvelle, de confession melchite. Ses analyses nous sont précieuses pour comprendre les événements du Proche-Orient. Avec lui, nous sommes en contact avec la Communauté Souffanieh animée par le Père Elias Zahalaoui, prêtre melchite.

Notre relation avec
la Palestine est importante. Nous tenons à ce que la conscience du drame vécu dans cette région du monde soit présente dans notre action. Merci à Maurice Buttin, Président du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient de maintenir notre attention sur cette région où la rencontre entre les religions est le modèle de ce qu’il faut refuser. Les chrétiens de « La Maison islamo chrétienne » regrettent que le beau document œcuménique, signé de toutes les confessions chrétiennes de Palestine (Kaïros) soient si peu connu des chrétiens de France.

La plus importante de nos relations est avec le
CCFD-Terre solidaire. Non seulement ce sont eux qui nous financent avec le plus de générosité : sans eux, il faudrait cesser nos activités. Mais surtout ils nous tiennent en grande estime. Lorsqu’ils veulent faire connaître les efforts de convivialité entre immigrés et autochtones, ils font appel à notre expérience et les partenaires venus d’Afrique ou d’ailleurs viennent nous rencontrer à La Caravelle. Lors de cette année 2013, Assan Ba et Nina Marx, responsables au niveau international du problème migratoire ont mis en place une équipe pour réfléchir aux problèmes de migration : ceux-ci ne sont pas européens mais mondiaux. Une réflexion sur la mise en place d’une gouvernance internationale semble s’imposer; nos amis ont souhaité, compte tenu de notre expérience, que nous en fassions partie.
Pour réaliser un DVD faisant connaître nos actions ils sont venus nous interviewer et nous filmer.


Des convictions

Nos activités associatives fêteront en 2015 leur vingtième anniversaire. Au terme de ces deux décennies, nous sommes pénétrés de quelques convictions.

L’importance de la parole

Le mot « dialogue inter religieux» est piégé. Il désigne des rassemblements officiels dont on sait d’avance le contenu. Les propos seront toujours empreints de « la plus extrême courtoisie » (l’expression vient directement du Coran). On est assuré que les musulmans parleront de la virginité de Marie et les chrétiens parleront du Dieu d’Abraham. A coup sûr la rencontre sera irénique mais, lorsque chacun sera rentré chez soi, le discours sera tout autre. Comment se fait-il que lorsqu’ils se rencontrent, musulmans et chrétiens soient facilement d’accord alors que, le lendemain, la façon de se couvrir la tête fait tant jaser les uns et les autres ? Peut-on considérer que les propos échangés dans un cadre islamo chrétien ont quoi que ce soit de spirituel alors que dans la vie courante on est à l’écart les uns des autres ?

Il est bien vrai que seule la parole peut humaniser les relations. Il est vrai également qu’une parole libre ne peut surgir sans que les sujets qui se tournent les uns vers les autres soient sûrs de ne pas être enfermés dans un imaginaire dangereux. Il est vrai aussi que la politique du logement pratiquée depuis la « Libération » n’a jamais favorisé une proximité de voisinage : enfermés dans une cité rassemblant des familles issues d’un même pays, voire d’une même ville ou d’un même village, bien des immigrés reproduisent dans l’hexagone les coutumes de leurs pays. Bien des femmes, à La Caravelle, continuent à ignorer la langue française.

Créer les conditions pour devenir proches les uns des autres en partageant les mêmes tâches, comme le fait ce groupe de femmes dans l’atelier de « Mes-Tissages », permet une découverte progressive et réciproque les uns des autres, nécessaire à une parole qui ne soit pas conventionnelle. Il faut des années pour qu’une Marocaine avoue devant des Européennes ce qu’est sa vie conjugale sans courir le risque de ridiculiser l’islam qu’elle aime ou celui d’être elle-même ridiculisée. Il faut des années aussi, parfois, pour qu’une Française puisse parler librement devant des hommes sans être moralement déconsidérée. Dans chacun des numéros de nos cahiers, nous réservons plusieurs pages intitulées « Questions qui fâchent ». Il faut, en effet, inventer les moyens de se parler en vérité en évitant de se manquer de respect.

On parle beaucoup de l’aliénation de la femme musulmane ; l’islam l’empêcherait de parler. La lecture de nos cahiers trimestriels devrait convaincre qu’on peut créer les conditions pour qu’elle s’exprime en vérité. Les propos tenus sur la mort dans un de nos précédents cahiers avaient été prononcés et rédigés au milieu des machines à coudre. Un théologien catholique bien connu a été frappé par leur justesse et leur humanité. Il est possible de libérer la parole de tous et de toutes mais il faut chercher, nous semble-t-il, le chemin qui y conduit.


L’importance de la culture

Bien des immigrés, hommes ou femmes, n’ont pas conscience qu’ils sont héritiers d’un patrimoine culturel respectable. N’ayant pas eu l’occasion de faire sienne la culture occidentale, l’homme ou la femme venu d’Afrique ou du Maghreb croit qu’il n’a rien à dire. Quand on pénètre un milieu qui pratique le dialogue islamo chrétien, il est évident que les musulmans qui s’expriment appartiennent aux classes moyennes ; ils ont étudié. Qu’en est-il du maçon venu d’Afrique ? Tout univers inter religieux lui est-il fermé ?

Nous sommes frappés, à « Mes-Tissages », par le tournant pris, dans les relations entre nous, lorsque des Marocaines eurent conscience que le travail de leurs mères et grand-mères aboutissait à des œuvres belles attirant l’admiration de ceux et celles qui les voyaient. Les immigrés frappant à nos portes n’ont pas les mains paralysées. Ils sont porteurs d’une créativité que notre pays a tort de ne pas accueillir systématiquement. Sans doute le Front National chercherait d’autres cibles si Maghrébins ou Africains étaient perçus dans ce qui fait leur humanité. L’Education Nationale a sans doute raison de faire en sorte que nul ne soit exclu du savoir qu’elle dispense. Mais pourquoi n’honore-t-elle pas aussi le savoir de ceux qu’elle accueille ? Il est dommage, par exemple, que la langue arabe, largement diffusée par El Jazeera, ne soit pas proposée plus systématiquement parmi les langues vivantes dans les collèges et lycées. Toujours est-il qu’en cessant de considérer la culture comme un produit européen et en prenant au sérieux celle de l’étranger, on ouvre le chemin du dialogue.



L’importance de la théologie

Notre démarche est souvent mal comprise. On nous disait récemment : « Vous réduisez le dialogue à de l’humanitaire ». C’est vraiment mal nous comprendre !

Il est vrai que la conception du dialogue tel que Vatican II l’a présentée semble insuffisante. L’ouverture a été géniale, certes. Le temps semble pourtant venu de l’élargir.

Le Concile a tenté de mesurer la proximité des religions les unes par rapport aux autres. Le judaïsme, par exemple, est plus proche du christianisme que l’islam parce que, avec le Pentateuque et les Prophètes, nous avons les mêmes Ecritures et pas seulement, comme avec l’islam, la référence à Abraham et la croyance au Dieu unique. Autrement dit, le dialogue reposerait sur des ressemblances dogmatiques. Nous avons tendance, à « La Maison islamo chrétienne », à penser que le dialogue n’est pas une comparaison entre des vérités énoncées mais entre des personnes faites de chair et de sang. Le dialogue inter religieux, en France, n’est pas entre l’islam et le christianisme mais entre les musulmans et les chrétiens et celui-ci est nécessairement mouvant, contrairement aux vérités établies.

Dans l’Evangile, l’histoire du Bon Samaritain est un bel exemple. Au temps de Jésus, l’opposition religieuse entre Juifs et Samaritains était grande, même s’ils avaient un passé et des convictions communs. Sur la route de Jéricho à Jérusalem, un homme attaqué par des brigands gît sur le sol. Les autorités juives passent, indifférentes. Un Samaritain arrive : il prend le blessé sur sa monture non pour le conduire au Mont Garizim où les Samaritains ont leur lieu, non dans une synagogue ou au Temple de Jérusalem, mais en un lieu neutre, une auberge où il peut être soigné. L’auberge plutôt qu’un temple, la blessure à soigner plutôt qu’un culte à célébrer : tel est le lieu et le but du dialogue entre Samaritains et Juifs.

S’agit-il seulement d’un acte humanitaire ? En l’occurrence, il s’agit d’un choix. Qui est Dieu en vérité ? De nos jours, la question est posée d’une façon brûlante. Juifs, chrétiens et musulmans se côtoient en Palestine. Ils se réfèrent tous au Dieu unique et ceci sème la mort. Au Proche-Orient ce qui est devenu le Califat islamique entretient une violence qu’aucun musulman de bonne volonté ne peut tolérer. Pourtant ce Califat veut faire régner la volonté du Dieu unique !

Le Dieu Un auquel nous croyons ne peut être Celui qui extermine. Si nous voulons être fidèles au Dieu auquel nous croyons, nous prenons le parti du Samaritain sur la route de Jérusalem. Nous nous penchons sur cette humanité blessée plutôt que de nous replier sur nos églises ou nos mosquées. Nous allons les uns vers les autres et lorsque nous nous rencontrons, nous trouvons le véritable sanctuaire. La vraie théologie conduit à ce déplacement en obligeant à réfléchir et à scruter les Ecritures.

Mais nous restons avec la question. Qui est ce Dieu dont parlent Jésus ou le Coran ? Elle est au cœur de nos soucis et chacun des problèmes concrets que nous abordons est l’occasion de la reprendre sous un biais chaque fois nouveau.

Qui donc est Dieu ? Ce qui nous empêche de répondre trop vite est sans doute ce verbe « être » que nous attachons à Notre Seigneur. L’être n’est pas le plus haut degré de la vie ; il est dépassé par l’amour. La théologie à laquelle nous nous référons n’est pas celle qui impose une religion : elle est celle qui conduit à nous tourner les uns vers les autres, tous les autres.

Saad Abssi, président - Mohammed Benali, trésorier - Christine Fontaine, vice-présidente - Michel Jondot, secrétaire général


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