Des adolescents dans un centre municipal de santé
Françoise Baïgorry-Larue
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La famille n’est jamais un long fleuve tranquille qui conduit les jeunes à la maturité. La traversée de l’adolescence est difficile. Elle appelle une aide que la société s’efforce d’inventer et de fournir. Le Docteur Baïgorry-Larue nous fait part de son expérience de prise en charge des adolescents dans un centre municipal de santé.


Une traversée difficile

Je suis médecin généraliste, ou plutôt médecin de famille exerçant dans un cabinet de ville depuis une trentaine d’années. J’ai été sensibilisée à la problématique de l’adolescence dès mes études. A cette époque, il n’y avait pas encore de formation spécifique, mais j’ai eu la chance de faire mon stage de pédiatrie dans un service hospitalier, déjà en partie orienté vers les adolescents. Le chef de service était sur le point de créer le premier service de médecine pour adolescents à l’hôpital Bicêtre. Au bout d’une vingtaine d’années d’exercice, j’ai pu voir évoluer les patients, j’ai été le témoin de l’évolution des familles. Je soigne plusieurs générations, j’ai connaissance de certains secrets de famille, je vois naître des enfants, puis les suis jusqu’à l’âge adulte et souvent je suis également leurs enfants.

Au fil du temps, mon intérêt s’est porté vers cette tranche d’âge qui est l’adolescence, période de vie, difficile à gérer, mais pleine d’espoirs. J’ai donc préparé un diplôme universitaire de la santé de l’adolescent. Lors de cette formation, j’ai constaté que les collègues qui avaient choisi cette voie exerçaient pour la plupart en milieu hospitalier. Je me suis donc interrogée sur mon mode d’exercice, sur mon rôle de médecin de famille. J’ai alors eu envie d’intégrer une structure pluridisciplinaire, accueillant des adolescents, pour pouvoir travailler au sein d’une équipe. Cette opportunité m’a été offerte dans un centre municipal de santé.

Présentation du Centre Municipal de Santé
(CMS)

Le CMS est composé d’un centre de soins, d’un Centre de Planification et d’Education Familiale (CPEF) et d’un Espace Santé Jeunes (ESJ), sous l’autorité de la Direction de la Santé de la ville.

Le centre de soins propose des consultations de médecine générale, de gynécologie, de médecine générale spécialisée de l’adolescence, des vaccinations gratuites, des soins dentaires et des soins infirmiers.

Le CMS permet aux jeunes de 16 à 25 ans de bénéficier d’un bilan de santé annuel et gratuit sur présentation de leur carte vitale, sous forme de parcours comprenant :
- une consultation avec un médecin généraliste spécialiste de l’adolescent,
- une consultation avec un dentiste pour dépister et prévenir toutes maladies bucco-dentaires,
- une consultation avec un médecin gynécologue, pour faire le point sur la puberté, informer sur la contraception, dépister et prévenir les Infections Sexuellement Transmissibles…

Quand je reçois un adolescent, la consultation s’articule autour de l’accueil, de l’écoute, de la mise en confiance, de la garantie de la confidentialité et du dialogue. Les jeunes peuvent y évoquer des interrogations ou des symptômes qui les inquiètent : fatigue récurrente, douleurs physiques ou angoisses… Elle est l’occasion de faire un point sur leur santé : mise à jour des vaccinations, recommandations en termes d’hygiène et d’alimentation. Si une orientation vers un spécialiste (dermatologue, psychologue…) est nécessaire, elle s’accompagne d’informations bienveillantes pour une prise en charge adaptée. La force de la structure est de reposer à la fois sur un centre de soins, un CPEF, un ESJ. L’articulation logique et le croisement des regards permettent aux jeunes de trouver des réponses et des interlocuteurs multiples dans un même lieu.

Les infirmières du centre reçoivent les jeunes de façon anonyme et gratuite, sans rendez-vous, pour répondre à toute question susceptible de les inquiéter (sexualité, contraception, prise de risques lors d’un rapport non ou mal protégé, peur d’une grossesse). Selon le cas, elles font des tests (pour éliminer le risque de grossesse), puis les patients peuvent ensuite s’adresser à un médecin, pour continuer les bilans de santé, ou à un psychologue, pour la prise en charge d’un mal-être. Tout ceci est facilité par un travail d’équipe, autour d’échanges, de réflexions sur les problématiques rencontrées. La préoccupation essentielle étant le respect du jeune en difficulté.


Une mission de prévention
et d’éducation à la santé

Je me rends aussi dans les collèges et lycées de la ville pour des interventions de prévention et d’éducation à la santé. Différents thèmes : sommeil, alimentation, hygiène de vie, alcool, tabac, hygiène bucco-dentaire, respect de l’autre… sont abordés. Les actions de prévention sont coélaborées entre mes collègues et moi-même et les sujets traités sont répartis au sein de l’équipe en fonction de la compétence et de l’expérience de chacun.

Echanger avec les élèves en groupe nous apprend beaucoup aussi sur ce qui se passe dans les familles, dans leurs groupes de pairs et sur leur comportement adolescent en groupe. Lors de ces interventions, très souvent nous avons des confidences, soit en public devant les autres élèves, soit à la fin du cours de façon plus intime. Je pense que le fait d’aller vers les jeunes, sur le lieu scolaire, de les faire participer à notre intervention, de les écouter, permet d’établir une relation privilégiée une forme d’alliance qui peut les encourager à se livrer.

Les jeunes pris en charge
Le foyer d’accueil

Dans la consultation dédiée aux adolescents, je suis amenée à recevoir des jeunes, quel que soit leur lieu d’habitation, et j’accueille très régulièrement des jeunes filles, entre 14 et 18 ans, qui vivent dans un foyer, suite à un placement par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) ou par le Juge des Affaires Familiales(JAF). Elles arrivent dans cet établissement pour différents motifs : maltraitance familiale, viol, actes de délinquances, familles monoparentales débordées par l’autorité …

Régulièrement, j’ai affaire à des jeunes filles venant de l’étranger. Elles arrivent parfois par leurs propres moyens, pour échapper à un pays en guerre, n’ayant plus de famille, ou pour échapper à un mariage forcé. Elles aboutissent en France après un périple souvent impressionnant. Certaines sont aidées au départ par des amis, puis elles se retrouvent en France, mineures étrangères isolées, ne parlant pas ou peu notre langue, et livrées à elles-mêmes. Il peut y avoir des passages par la prostitution avant qu’une équipe sociale ne leur vienne en aide et organise un placement pour les protéger.

Quand elles arrivent au foyer, une prise en charge multiple s’organise :
- médicale (au centre de santé), centrée sur leur état de santé, leur statut vaccinal (le plus souvent ignoré), la répercussion de leur vécu sur le sommeil, l’appétit. Les jeunes étrangères, en plus de tous les bouleversements qu’elles subissent, doivent aussi s’adapter à de nouvelles coutumes alimentaires.
- sociale, notamment pour les faire accéder à la sécurité sociale (Couverture Médicale Universelle - CMU)
- éducative et scolaire : dans un premier temps, elles prennent des cours de français, où leurs acquis sont évalués. Dans un second temps une mise à niveau scolaire leur est proposée pour pouvoir intégrer la classe qui correspond à leur niveau.


Etudes de cas

Parfois un lourd passé…

M, une jeune fille de 15ans, guinéenne, violée dans son village, se retrouve enceinte. Il est impossible d’envisager une interruption de grossesse sans la mettre en danger : son village étant trop isolé, aucune hospitalisation n’est possible. Elle mène donc sa grossesse à terme, accouche d’une petite fille. La maman de la jeune fille prend en charge le bébé en le faisant passer pour son propre enfant et la jeune M est obligée par sa famille de quitter son village et son pays pour éviter le scandale. Elle arrive en France, est accueillie dans son foyer jusqu’à sa majorité, et n’a aucune nouvelle de sa fille. M n’a donc pas été reconnue comme victime d’un viol, elle n’a reçu aucun soutien. Deuxième peine, elle a dû quitter son enfant, sa famille, son pays pour éviter d’être mal jugée. Comment arriver à se reconstruire après de telles épreuves à 15 ans ?

Crises familiales

Un jeune exprime un mal être physique ou psychique qui peut-être le reflet d’un malaise familial ignoré ou non dit.

T est un jeune garçon de 15 ans, l’aîné d’une fratrie de deux, vivant avec ses deux parents et sa jeune sœur. T n’a jamais posé de problème jusqu’à son entrée en seconde. A partir de novembre, il développe une phobie scolaire, se manifestant par de fortes douleurs abdominales l’empêchant d’aller en cours. Il est déscolarisé à partir des vacances de la Toussaint jusqu’à la fin de l’année scolaire. T a bénéficié d’une prise en charge psychiatrique, avec un traitement pour l’aider à vaincre ses angoisses, et d’un suivi par une psychologue. Je continuais à le voir régulièrement ainsi que les autres membres de la famille.

Cette famille semblait aller bien, mais en fait ne communiquait pas. T par ses symptômes a réussi à ce que chacun de ses parents voit un psychologue séparément et que la famille bénéficie d’une thérapie familiale. Les parents ont failli se séparer. Cela va mieux. Le dialogue est restauré. T a redoublé sa seconde par correspondance, avec de bons résultats et débute une 1ère toujours par correspondance. Par ailleurs il a beaucoup d’amis, fait du sport, du théâtre et a retrouvé le sourire.

T par son comportement inquiétant a révélé le dysfonctionnement familial et a mobilisé sa famille autour de lui. Ainsi, en alarmant ses parents qui ont accepté les propositions de prise en charge (ce qui n’est pas toujours le cas), T a recréé une union familiale.

Autres situations

En dehors de ces cas particuliers de jeunes étrangères mineures placées, les situations difficiles se retrouvent dans tous les milieux sociaux, peut-être davantage dans les familles dont les parents sont séparés et qui gardent une mésentente. La promiscuité liée à des problèmes de logement, la pauvreté sociale sont souvent sources de difficultés pour un adolescent qui a du mal à trouver sa place. Mais y-a-t’il vraiment un lien de cause à effet ? On ne peut en être certain. Certes cela attise des difficultés familiales, mais tant de facteurs sont intriqués dans une famille et dans le développement d’un enfant en devenir d’être adulte ! Nous ne devons pas stigmatiser.


Un travail d’équipe indispensable

Quand je reçois un jeune qui va mal en consultation au centre de santé, il faut tout explorer : l’interroger sur la cellule familiale, sa scolarité, sa vie sociale, ses prises de risques (sport violent, conduite de scooter sans casque), ses consommations (alcool, tabac, cannabis), le temps passé devant des écrans. Cette forme d’enquête, permet de mieux comprendre son fonctionnement et son entourage familial, amical. Souvent il est intéressant de prendre contact avec son médecin de famille (avec l’accord du jeune), son infirmière scolaire, une assistante sociale ou un éducateur spécialisé qui connait le jeune par des activités extra scolaires ou de l’aide aux devoirs. Tous ces professionnels étant tenus par le secret, il est plus facile d’évoquer une situation inquiétante sans trahir cet adolescent. Il est important de créer un maillage d’intervenants qui peuvent avoir un regard différent sur la problématique posée. Toutes les cartes doivent être utilisées pour aider au mieux un adolescent en difficulté.

Chaque intervenant a une approche différente de l’adolescent, sur ce qu’il exprime ou ce qu’il vit. Nos réunions d’équipes de partenaires (soignants somatiques et psychologiques, travailleurs sociaux..) nous permettent de trouver des pistes pour une meilleure prise en charge globale de la situation.

En guise de conclusion

Ayant longtemps travaillé seule, travailler en équipe pluridisciplinaire, avec ces regards différents est un enrichissement aussi bien professionnel que personnel.

A travers toutes les situations rencontrées auprès de ces adolescents, je pense que l’humilité reste de rigueur. Il ne faut jamais juger le jeune en souffrance ou ses parents. Ce passage de mal-être est observé dans toutes les classes sociales. Personne ne détient ni la vérité, ni la solution miracle. Chacun à son niveau fait ce qu’il peut avec ce qu’il sait.

Notre seule chance est de travailler en équipe, d’échanger sur les cas difficiles, pour pouvoir apporter au moins une écoute empathique à un moment donné chez un adolescent. Lui permettre de lui ouvrir des portes, qu’il sache qu’un endroit bienveillant peut l’accueillir, s’il a besoin de confier son mal-être.

Françoise Baïgorry-Larue


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