Rencontre de l'été 2018
Antisémitisme et islamophobie


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Manifeste des 300


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Manifeste des 300 : nouvel antisémitisme ? Ou négationnisme d’un type nouveau ?
Sadek Sellam

Sadek Sellam, en bon historien, montre que ce Manifeste des 300 prend place dans une longue succession d’oublis. Leurs auteurs d’efforcent d’occulter le comportement de l’islam à l’égard du judaïsme  ; on veut ignorer, par exemple, la place de l’islam dans la résistance à l’antisémitisme barbare de la période nazie.

Un ton particulièrement inamical

Les rédacteurs du «  Manifeste des 300 » sur un «  nouvel antisémitisme  » –  attribué aux seuls musulmans  – adoptent un ton particulièrement inamical. Leur démarche est fondée sur une étonnante stratégie du soupçon qui tend à faire de tout musulman un suspect. Il n’y a pas très longtemps, un des signataires, et peut-être rédacteur, s’était écrié un soir sur une station périphérique : «  En tout musulman sommeille un antisémite » ! L’auteur de ce jugement apparemment sans appel doit être content d’avoir fait 300 adeptes. Et les promoteurs du Manifeste doivent être satisfaits de la caution plus ou moins savante que leur apporte cet historien de l’antisémitisme.

Mais cet assez bon historien a du mal à rester impartial dès lors qu’il s’agit de la période coloniale et de l’attitude des musulmans pendant la deuxième guerre mondiale. Ses jugements sommaires sur les incidents judéo-musulmans de 1934 à Constantine - qui sont repris par les polémistes pressés comme Eric Zemmour - se trouvent formellement démentis par la teneur d’un rapport circonstancié commandé par le gouvernement général d’Alger désireux de connaître les tenants et aboutissants de cette affaire. Il omet soigneusement de signaler le rôle du cheikh Ben Badis qui a calmé les esprits en rappelant que la profanation d’une mosquée par un militaire juif ne rend pas toute la communauté juive responsable.

Sur la deuxième guerre mondiale cet historien-idéologue se contente de rappeler le rôle archi-connu du mufti de Jérusalem, en faisant croire qu’il aurait été suivi massivement par les musulmans dans la collaboration avec le III° Reich. L’historien engagé se garde bien de rappeler ce que tous les historiens objectifs savent : Hadj Amine Husseini avait commencé par proposer à la France sa collaboration, pour s’opposer à l’application de la déclaration Balfour. Mais au vu du manque d’intérêt de la diplomatie française, le mufti s’est tourné vers l’Allemagne. Et s’il a été remis en 1945 à la France par les Britanniques, c’est parce que l’Intelligence Service était renseignée sur ses mobiles. A la Libération, le gouvernement De Gaulle, si implacable avec les collaborateurs, s’est contenté de mettre le mufti en résidence surveillée à Bougival, avant de fermer les yeux sur son « évasion  » un vendredi en sortant de la mosquée de Paris où il était autorisé à aller faire ses dévotions.

Des oublis graves

Cet historien-idéologue et les militants qu’il inspire continuent de s’en tenir au refus d’associations de déportés de reconnaître l’internement de musulmans dans les camps de la mort. Outrés par l’attitude de ces négateurs, des officiers supérieurs et de grands résistants demandèrent en 1950 la constitution d’un « Comité d’honneur  » sous l’égide de la Présidence de la République pour reconnaître les droits d’un grand résistant algérien à qui l’on refusait la qualité d’ancien déporté. Il s’agissait de Mohamed Taleb, originaire de Maghnia dans l’ouest algérien, qui avait fini la première guerre mondiale avec le grade de capitaine. Pendant la seconde guerre mondiale il a fait partie d’un important réseau de résistance qui approvisionnait en viande les maquis du Sud-Ouest et avait réussi à infiltrer «  l’organisation Todt » chargée du travail obligatoire. Arrêté avec un jésuite, le père Jabrun, Taleb a été déporté avec lui dans le camp de Buchenwald. Le jésuite est mort en déportation et une grande artère de Bordeaux porte son nom. Mais le capitaine Taleb, dont on a reconnu facilement son héroïsme dans la résistance, s’est vu refuser la qualité d’ancien déporté. Le refus des organisations de l’immédiat-après-guerre avait des raisons psychologiques et politiques, liées à la fois aux préjugés coloniaux et à la «  concurrence des victimes  », bien étudiée dans le livre de J. P. Chaumont. L’historien qui entérine ces refus se mue en idéologue chargé de cautionner plus ou moins savamment les formes postcoloniales de l’islamophobie.

Les immigrés maghrébins et la résistance

De tels historiens-idéologues ne veulent pas tenir compte des résultats des enquêtes récentes sur les immigrés maghrébins de la Résistance. Ces enquêtes sont menées en dehors du cadre universitaire où pèsent encore les contraintes d’un certain « historiquement correct ». Les polémistes préfèrent ressasser le cas d’une poignée de militants du PPA qui croyaient pouvoir libérer leur pays en collaborant avec les Allemands. La collaboration de ce groupe était du reste favorisée par les services de « la Rue Lecomte », cette police spéciale créée par le Cartel des gauches en 1925 pour surveiller les seuls travailleurs immigrés musulmans.

En raison de sa compromission avec la Milice, ce service créé au nom d’un communautarisme d’Etat, a été dissout en 1945, par Adrien Tixier, le ministre de l’Intérieur du gouvernement De Gaulle. Le préfet Chérif Mécheri, qui dépendait de Jean Moulin quand il était sous-préfet à Chartres, et qui était resté à son service quand il s’appelait «  Max », a joué un rôle important dans la suppression du service « de la rue Lecomte ». Si Tixier a écouté Mécheri c’est parce que de résistants attestèrent que le préfet avait sauvé 2900 personnes de la déportation, dans l’ouest de la France et à Limoges.

Pour les besoins des polémiques

Le cas des militants du PPA tentés par la collaboration devient, aux yeux des historiens -idéologues, plus préoccupants que ceux des nombreux autres collaborateurs français.

Pour les besoin des polémiques on passe sous silence le désaveu de ces militants par leur chef Messali-Hadj qui avait décliné toutes les offres de Vichy. Il était sur la même ligne que le cheikh Bachir Brahimi, le successeur de Ben Badis à la tête de l’association des Oulama qui a été déporté dans un camp du Sud-Oranais pour avoir refusé une déclaration radiodiffusée en faveur de la « Révolution Nationale ». Son adjoint le cheikh El Oqbi risquait le même éloignement quand il a eu le courage de refuser d’apporter une caution musulmane à l’application des lois anti-juives de 1941 que lui demandait le gouverneur général pétainiste, l’amiral Abrial.

« Nous avons des désaccords théologiques avec les Juifs. Mais ils bénéficient des droits reconnus aux Gens du Livre par le Coran il y a 14 siècles », expliqua El Oqbi à Abrial. Cette attitude n’était pas le fait du seul El Oqbi. Selon les rapports du CIE (Centre d’Information et d’Etudes) de 1941 du futur colonel Schoen, les musulmans n’avaient pas l’enthousiasme à soutenir les lois anti-juives escompté par les vichystes du gouvernement général. Ferhat Abbas refusa aussi toute collaboration avec Vichy.

C’est en souvenir de cette loyauté que des Juifs de Constantine, moins amnésiques que ceux qui refusèrent le titre d’ancien déporté au capitaine Taleb, publièrent, en avril 1956, un texte, signé au nom de la « Vigilance Juive de Constantine », et appelant le gouvernement Guy Mollet à négocier avec le FLN. Aux yeux de ces Juifs « islamojustes » qui n’éprouvaient pas le besoin de falsifier l’histoire des relations judéo-arabes, grâce au ralliement de Ferhat Abbas, le FLN était devenu, « l’interlocuteur valable » tant recherché par Guy Mollet. La « Vigilance juive de Constantine » justifiait son appel en rappelant le courage de F. Abbas qui « avait refusé de foncer sur les Juifs » quand Vichy le lui demandait en lui proposant de grands moyens.

C’est parce qu’il connaît ces précédents aussi bien que la véritable histoire des relations judéo-musulmanes, que Benjamin Stora, qui n’est pas moins vigilant sur l’antisémitisme, n’a pas signé le Manifeste des 300.

Le Coran incriminé

Le Manifeste se termine par une singulière « fetwa » sommant les musulmans de supprimer les versets du Coran qui déplaisent à ses rédacteurs. Comme ces polémistes ne connaissent pas le Coran mieux que Michel Onfray (qui dit n’avoir trouvé qu’un seul verset intéressant dans tout le Coran !), cette prescription reviendrait à interdire le Livre, purement et simplement.

Les auteurs de cette sommation devraient lire la traduction du Coran Blachère, qui ne saurait être accusé de complaisance avec l’islam ni avec quelque autre religion : le regretté Arkoun le décrivait comme « athée, franc-maçon, SFIO ». Ce très bon philologue a rassemblé tous les versets du Coran ayant trait aux Juifs et a analysé la terminologie changeante d’un verset à l’autre. Il conclut à l’existence de versets très élogieux. Les versets hostiles ne concernent que les chefs tribaux qui n’ont pas respecté le pacte de Médine. Marek Halter qui s’est donné la peine de se renseigner en arrive à la même conclusion : «  Le Prophète qui combattait ses propres cousins de la Mecque a combattu les Juifs qui ont rompu le pacte de Médine... »

Vingt sept versets à supprimer

La présence du grand-rabbin Korsia a dû créer l’illusion de voir cette étrange sommation répercutée auprès des musulmans, ne serait-ce que par les lecteurs du regretté Malek Chebel qui animait avec lui une émission interreligieuse sur la «  Huit ». Korsia semble avoir pris au sérieux un livre rapidement écrit par le défunt essayiste qui prescrit de supprimer « 27 versets » pour que les musulmans soient acceptés par les islamophobes de France et de Navarre…

Korsia semble perdre de vue les acquis des dialogues judéo-musulmans favorisés depuis des décennies par des rabbins d’origine maghrébine, comme Sirat, Semoun et Sultan-sans parler des amis des musulmans comme Emile Moatti.

Le premier a eu le courage de se rendre à Ramallah pour y voir Arafat. Il a été durement attaqué par des partisans de l’affrontement comme les rédacteurs du Manifeste. Quant à Simoun, qui a présidé l’Institut Rachi de Troyes, il n’hésitait pas à accompagner les travailleurs immigrés musulmans dans leurs démarches en vue d’ouvrir des salles de prière. Il n’hésitait pas à prendre position publiquement contre Netanyahou. Son successeur à l’Institut Rachi, le rabbin Sultan est partisan du dialogue avec l’islam.

Les nouveaux « réformateurs »

Les rédacteurs du Manifeste misaient sans doute aussi sur les nouveaux «réformateurs» de l’Islam pour approuver leur théorie du «nouvel antisémitisme». Après les attentats du 7 janvier 2015, ces orateurs furent médiatisés à raison de leurs répétitions sur la nécessité d’ «  abroger » des versets. Ce fut le cas d’Abdenour Bidar cosignataire pour une revue savante d’un texte rédigé par un islamologue islamophobe persuadé que tout l’Islam basculerait définitivement dans la « modernité » pourvu que les Oulama acceptent d’abroger les versets qui lui déplaisent. Certains rédacteurs croyaient même voir leur texte repris par le site communautaire Oumma au vu de sa nouvelle alliance avec Nouredine Boukrouh qui avait attiré l’attention de ces milieux après sa fracassante proposition de remanier le Coran...

Malheureuses complaisances musulmanes

Pour faire accepter le Manifeste par les musulmans, un Finkielkrault a dû miser sur Ghaleb Bencheikh dont il surestime la complaisance depuis que ce dernier a tenu à débattre avec lui à tout prix. Bencheikh a heurté les musulmans en considérant que devenir l’interlocuteur du philosophe médiatique lui assurerait dans les grands médias la notoriété que la petite émission «Islam» de France 2 ne lui a pas rapportée.

D’autres espéraient voir Tarek Oubrou prendre la défense de leurs thèses dans les mosquées de l’Aquitaine. Car à chaque polémique sur l’islam cet imam plus instruit que la moyenne s’empresse de prescrire aux musulmans de «  changer de théologie» . Il est considéré comme un interlocuteur privilégié par les rédacteurs du Manifeste en souvenir des voyages d’imams qu’il conduisait à Autschvitz. Pour avoir refusé les demandes de s’arrêter pour visiter les charniers de Bosnie, Oubrou n’a avec lui que 30 imams sur 2400. Cela donne une « représentativité » légèrement supérieure à celle de Chalghoumi, seul musulman à signer le Manifeste, sans doute par « haine de soi ».

Politique israélienne et antisémitisme

Ces pétitionnaires se sont mépris sur l’influence de ces «  réformateurs » médiatiques sur l’opinion musulmane qui est réduite au silence, mais n’en pense pas moins.

Des passages du Manifeste assimilent à de l’antisémitisme toute critique de l’agressivité israélienne. Or la justice française a rendu des arrêts rappelant que l’Etat d’Israël peut être critiqué au même titre que tous les Etats fautifs et cela ne saurait être assimilé à de l’antisémitisme.

Les silences pesants des signataires du Manifeste sur les récentes tueries de l’armée israélienne à Gaza renseignent sur leur incapacité à être les représentants incontestables de la «  conscience universelle ».

En définitive, ce Manifeste marquera l’histoire pour l’agressivité de son ton et la faiblesse des démonstrations. Ses rédacteurs, qui veulent imputer l’antisémitisme aux seuls musulmans, ont eu droit à une réponse du président Macron qui rappela, en anglais devant les étudiants américains, que l’antisémitisme en France avait précédé de plusieurs siècles l’arrivée des musulmans dans ce pays. C’est exactement ce qu’avait dit Bernard Cazeneuve à un de ses visiteurs au ministère de l’Intérieur. Cela rend étonnante la présence de son nom parmi les signataires. On peut supposer qu’il a dû se trouver dans la même situation que Jack Lang qui s’était contenté de réprouver au téléphone l’antisémitisme et a dû exiger le retrait de son nom après l’avoir lu parmi les signataires.

Un des rédacteurs est l’auteur d’un livre engagé sur les territoires perdus de la République (Georges Bensoussan pour ne pas le nommer) où les collégiens n’écouteraient pas assez attentivement les cours sur la Shoa. Mais on pourrait peut-être renoncer aux censures de cet historien-militant en ajoutant aux programmes sur la Shoa des noms comme ceux du capitaine Taleb. Il en est de même de Tarek Oubrou qui aurait été moins contesté par les musulmans s’il avait daigné faire connaître, à son exposition sur la Shoa à l’intérieur de « sa » mosquée, les nombreux musulmans de la résistance française, dont le capitaine Taleb qui vivait à Bordeaux et mériterait qu’une rue proche de l’avenue Jabrun porte son nom.

Négationisme d’un temps nouveau

Ce texte outrancier exprime des présupposés idéologiques plus qu’il ne respecte la vérité historique. Il s’accommode de censures comme la persistance à occulter le rôle des musulmans dans la résistance, juste pour faire croire à un antisémitisme qui serait inné chez les musulmans. Force est de qualifier ce genre de censure de négationnisme d’un type nouveau.

Si les musulmans disposaient d’ « espaces d’expression intellectuelle et scientifique », ils remédieraient à l’inconduite de la partie de leurs jeunes tentés par l’antisémitisme. Ils leur rappelleraient que c’est anti-coranique. Et ils leur désigneraient comme exemples à suivre Ferhat Abbas et les cheikhs Ben Badis, Brahimi et El Oqbi. Le rappel de la noblesse de Ben Badis en 1934 pourrait même aider une partie des signataires du Manifeste à renoncer définitivement au détestable principe de la responsabilité collective.

Sadek Sellam

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1- Rappel : Depuis le début de l'année 2016, autour de la mosquée de Gennevilliers (ville de la banlieue Nord de Paris), un groupe d'une douzaine de personnes se réunit régulièrement. Il est composé d’hommes et de femmes, de musulmans, de chrétiens ou d’agnostiques. Ils ont pour but d’ôter les masques et de tenter de se faire face en vérité. Ils s’efforcent maintenant d’élargir l’horizon en mettant en ligne leurs échanges. / Retour au texte

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