Au milieu du siècle dernier, Saâd Abssi, aujourd'hui Président de Mes-Tissages, militait en France pour l'indépendance de l'Algérie. Au coeur de ce combat, il rencontra les chrétiens.

Cette expérience mérite qu'on en garde le souvenir. Elle a un caractère prophétique ; dans les années 50, on ne parlait pas encore de dialogue islamo-chrétien et pourtant il existait déjà.

Photos "Paris arabe"

Ces événements vécus à une période particulièrement difficile des guerres d'indépendance, peuvent servir de points de repères. Ils manifestent une sorte de dépassement : par-delà les causes humaines, les plus nobles soient-elles, des adversaires peuvent se rejoindre au point de devenir des frères.

Au moment de l'affaire Dreyfus, Péguy se lamentait de voir des calculs partisans justifier les prises de position politique de ses compagnons de combat. Il opposait, pour sa part, la « mystique » à la « politique ». Il prenait garde de ne pas laisser la « mystique » se pervertir en « politique ». Gardons ce mot « mystique » ; il ne qualifie pas seulement le comportement de quelques génies spirituels. Il désigne aussi une certaine façon de concevoir la vie en société.

L'histoire de Saâd et de ses amis chrétiens n'est pas rapportée ici sous son aspect seulement anecdotique. Elle donne à penser ; elle rencontre, en effet, la réflexion d'intellectuels du siècle dernier qui s'interrogeaient au moment où Saâd trouvait des appuis fraternels là où il ne s'y attendait pas.

Louis Massignon, lui aussi, était aux côtés des adversaires de la politique coloniale de son pays. Ce professeur au Collège de France avait retrouvé la foi parce qu'il avait vécu, en terre musulmane, une expérience d'hospitalité dont il a réfléchi le contenu.

« Hospitalité » : retenons ce terme ; il résume « le coude à coude prophétique » que nous rapportons. Les chrétiens, en lisant la Bible, se rappellent l'expérience d'Abraham dans son face à face avec les étrangers, au chêne de Membré; l'hospitalité, pour tous les héritiers d'Abraham, traduit bien l'alternative évoquée ici : « Politique ou mystique ? »

La pensée de Lévinas, le philosophe juif, se forgeait dans ces années 50. Elle rejoignait celle de Massignon et nous conduit, elle aussi à « la frontière du politique ». C'est à lui que nous empruntons le titre de ce dossier :
" Avant la politique, l'éthique!».