"Islam et démocratie"
Réactions de Mohammed Benali
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Philippe d’Iribarne, dans son ouvrage « Islam et Démocratie », prétend que le Coran, en obligeant ses fidèles à se soumettre à la volonté de Dieu, empêche les musulmans de vivre dans un pays démocratique. Mohammed Benali, en s’arrêtant sur trois passages caractéristiques du livre, se situe par rapport à ses affirmations.


Désir d’un pouvoir fort
ou volonté démocratique ?

Philippe d’Iribarne - (p.134) Ce qui rend difficile l’instauration d’une vie démocratique dans les pays musulmans n’est pas le désir d’être régi par un pouvoir fort. C’est la capacité du corps politique à donner corps au pluralisme. Il ne suffit pas d’abattre les despotes et de procéder à des élections libres pour faire disparaitre cette difficulté.

Mohammed Benali - Je ne suis pas d’accord, bien sûr. Je pense que beaucoup de personnes veulent que la démocratie prenne dans les pays musulmans. Le «  Printemps arabe » était pour moi un exemple illustrant la volonté des musulmans de vivre dans la démocratie et la liberté. Il est vrai que toute révolution passe par des massacres à commencer par la révolution française. Après une révolution, les démocraties avancent mais en boitant. Prenons l’exemple de la Tunisie ou même du Maroc. Au Maroc, on est passé d’un régime où le roi règne absolument à un régime où le roi accepte de céder une partie de son pouvoir. Il cède parce que les gens ont commencé à prendre le chemin de la révolte. Viendra le moment où le roi abandonnera la totalité de ses attributions. La Tunisie avance elle aussi dans le bon sens parce que c’était un régime de dictature avec un seul parti, toujours élu bien qu’enfoncé dans la corruption. Il faut du temps pour apprendre la démocratie. La même chose se produit en Egypte mais malheureusement un dictateur est venu interrompre une belle expérience. Les Frères musulmans ont gagné. Ils ont fait des erreurs, c’est vrai. Mais les erreurs, au début d’un temps nouveau, sont inévitables. Les partis politiques et les différents courants de pensée n’étaient pas habitués à la démocratie. L’Egypte, l’un des plus grands pays musulmans (presque 80 millions d’habitants) faisait une expérience de démocratie. Malheureusement l’armée est venue pour l’interrompre comme, si le peuple ne savait pas choisir. Vous avez choisi un Président ou un Parlement mais au bout d’un an, une personne, le ministre de la Défense, interrompt cette expérience : « Non ! C’est à moi de choisir pour vous. » Certes, il y avait des erreurs mais au bout de quatre ans, le peuple devait choisir un autre parti. Au peuple de décider comme en France où l’on passe de la gauche à la droite et réciproquement. Pourquoi choisit-on à la place du peuple ?

Malheureusement il y a des forces extérieures et des intérêts qui empêchent que la démocratie gagne en Egypte. Je pense à Israël. Israël n’a pas intérêt à ce qu’en Egypte il y ait un régime démocratique qui demain, par le choix du peuple, va « menacer » sa sécurité. Israël ne veut pas la paix et plusieurs puissances le soutiennent. On dit que les musulmans ne sont pas prêts à vivre la démocratie. Ils ne sont pas majeurs : on va choisir pour eux.

La Turquie est un très bon exemple. Elle a réussi, malgré l’armée, à laisser le peuple choisir. Il y a des partis politiques. On disait : « C’est un parti islamiste, c’est un parti conservateur ». Si l’on va en Turquie, on voit les femmes sur les plages avec des maillots de bain. On les voit dans les piscines. Dans les rues garçons et jeunes filles s’embrassent sans vergogne. Dans les hôtels on trouve de l’alcool ou des jeux. C’est interdit par l’islam mais cela existe comme dans un pays occidental. Le SMIG a été multiplié par cinq. En douze ans, la Turquie a réussi à se développer au point de faire partie maintenant du G20. Je suis allé en Turquie et jai parlé avec les gens ; il se réjouissent d’avoir plus de liberté qu’autrefois. Ceci n’a pas porté atteinte à la pratique religieuse ; le vendredi, les mosquées sont pleines.

En Malaisie on a également un bel exemple de démocratie.

Il faut distinguer, même dans un pays musulman, islam et constitution. La charia, certes, impose des règles aux musulmans mais un non-musulman peut manger ce qu’il veut. A chacun de suivre sa conscience  !  (1) Si la majorité vote la constitution et si le Parlement édicte une loi, ou bien on se soumet ou bien on part ailleurs. Quand on a voté la loi sur le hijab à l’école, les musulmans n’étaient pas d’accord. Moi-même je n’étais pas d’accord. C’est, selon moi, une atteinte à la liberté. Mais du moment que c’est voté je me soumets à la loi votée par les représentants du peuple.

Dans un régime démocratique on trouve une constitution. Pour moi, je le répète, la Charia n’est pas une constitution. La charia signifie, en arabe, «  le chemin ». Elle indique un certain nombre de prescriptions et d’interdits. Dans la Charia, il y a le Coran : quand on dit, par exemple, que la viande de porc est interdite. On ne va pas inscrire cela dans la Constitution ; qui veut manger du porc en a le droit. La constitution donne des règles pour tous. On ne peut pas mettre dans la Constitution « il est interdit de boire de l’alcool ». La Charia s’adresse à l’individu et s’y soumettre est une affaire qui concerne chaque musulman en face de son Seigneur.

L’Arabie Saoudite, l’Iran ne sont pas des exemples pour moi.


Pluralisme de tolérance
ou pluralisme démocratique ?

- (p. 133-134) La forme particulière de pluralisme (la place faite aux dhimmis) ne s’oppose en rien à l’intolérance qui sévit à l’intérieur de la communauté. On a une différence profonde d’attitude envers ceux que l’on reconnaît on non comme des semblables ; « Jusqu’à une époque toute récente, l’Islam religieux ne reconnaissait la plénitude humaine qu’à ses adeptes pour leur ôter tout droit à la liberté spirituelle et à l’autonomie de conscience (on entre dans l’Islam mais on n’en sort pas). Inversement, il refusait l’humanité à l’autre pour lui reconnaître la liberté {...} : L’intolérance est interne ; elle va de l’admis qui est reconnu comme entier mais non libre. L’exclusion est externe, elle va à autrui qui est refusé mais libre. » (H. Djaït, l’Europe et l’islam, p.77) Le passage de cette forme de pluralisme au pluralisme démocratique représenterait une mutation radicale. C’est une chose de bien « traiter » celui que l’on ne reconnaît pas comme un semblable, voire de lui manifester une certaine bienveillance et d’entretenir avec lui une certaine convivialité, étant entendu qu’il reste à sa place et accepte de courber l’échine.

Un régime démocratique musulman respecte les minorités religieuses non-musulmanes. Un citoyen est un citoyen, quelles que soient ses convictions religieuses ou autres. Ce n’est pas en contradiction avec les prescriptions du Prophète. Il disait que la communauté musulmane devait prendre le chrétien en charge.

La condition de dhimmis fait partie du passé. Il ne faut pas l’employer de nos jours mais parler, pour les musulmans, les chrétiens et tous les autres, de citoyens. Nous sommes des concitoyens.

J’entends dire qu’en Egypte, dans l’armée, les jeunes recrues chrétiennes sont contraintes à jeûner comme les musulmans pendant le Ramadan. Il faut dénoncer cela. Par ailleurs, au Proche-Orient, la situation des chrétiens se dégrade et la convivialité séculaire s’effrite. Les chrétiens qui partent sont nombreux. Peut-être ceci tient-il au fait que ce sont les chiites qui sont au pouvoir et qu’ils s’en prennent aux sunnites : cela détruit la convivialité d’autrefois. Par ailleurs, il faut que le monde entier se ligue pour abattre l’Etat Islamique dont la barbarie détruit tous les équilibres de la région. Il y a aussi des enjeux économiques : 2,5 millions de dollars de recettes par jour pour DAESH ! Si les Nations-Unies avaient la volonté de mettre fin à leur folie on pourrait s’en sortir mais la baisse du coût du pétrole et la concurrence empêchent d’intervenir. Pour qu’ils réagissent, il faudrait que Daesh s’en prenne à Israël.

Pour en revenir aux dhimmis, ne nous méprenons pas sur le sens du Coran. Certains passages sont sévères contre les idolâtres mais les chrétiens n’en font pas partie. Les musulmans voient en eux « des gens du livre » comme les juifs. Ils ont toujours eu un statut privilégié. Il faut relire la Sourate « Rom » : dans la guerre entre Perses et Byzantins les musulmans ont pris le parti des Byzantins.

En ce qui concerne les bouddhistes, bien qu’il faille reconnaître comme impie le fait d’adorer des dieux ou de vénérer des vaches, je considère qu’ils ont leur place dans une société musulmane : ils sont citoyens avec les mêmes droits que les autres.


A propos des Droits de l’homme

l’homme heurtent de plein fouet celles de la charia, la Déclaration inspirée par l’islam s’en écarte substantiellement. C’est le cas en particulier pour l’article 18 de la Déclaration universelle : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » Est ainsi affirmé le droit pour tous, musulmans compris, à changer de religion, ce que la charia n’admet pas pour les musulmans – l’apostasie est, en principe, punie de mort et il arrive qu’elle le soit effectivement.

Il faut reconnaître que l’Arabie Saoudite est loin d’une conception démocratique de la société. Le Qatar, lui aussi, est d’origine wahhabite. Mais ce pays évolue d’une façon spectaculaire. C’est dans ce pays qu’a été construite la plus belle église du monde arabe. Dans les médias on trouve trop de mensonges sur le Qatar. Il est faux de dire qu’il soutient Daesh comme on le fait depuis que l’Emir du Qatar est allé casser l’embargo sur Gaza par solidarité avec deux millions de personnes enfermées dans une prison à ciel ouvert. « Il fallait le faire ! » Rentrer à Gaza, parler avec les Gazaouis, était un acte de fraternité. On y a vu la volonté de soutenir les djihadistes !

En ce qui concerne le droit de changer de religion, il ne doit pas y avoir de contrainte. Le Coran est clair : « Il n’y a pas de contrainte dans la religion  ». L’individu a le droit de choisir sa religion et de ne pas rester sur une religion héritée. Beaucoup de musulmans, même au Maroc, ne croient pas en Dieu. Il ne suffit pas d’hériter l’islam pour être musulman. Il faut l’assumer, le recevoir, l’accepter. Si un musulman ou une musulmane venait m’annoncer sa conversion, je respecterais son choix. Ce n’est pas à moi de les condamner. La religion est entre l’individu et son Seigneur directement. Je n’ai les clefs ni du Paradis ni de l’Enfer. On ne doit pas condamner les gens sous prétexte qu’ils sont chrétiens, musulmans ou juifs. C’est entre eux et leur Seigneur. En France, j’ai l’impression que nous sommes face à une justice à géométrie variable. Dans les 12 jours qui ont suivi l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper casher en janvier 2015, la police et la gendarmerie ont enregistré 128 actes antimusulmans. Au premier semestre 2015, les actes et menaces islamophobes ont presque quadruplé par rapport à la même période l’an dernier (274 contre 72). On a tiré sur des mosquées ; d’autres ont été brûlées. Aucune chaîne de TV n’a osé passer la moindre image. Tous les jours il y a des actes islamophobes, des insultes : je peux en témoigner. Je suis contre tout acte antichrétien ou antisémite, bien sûr. Un juif a été agressé par un adolescent de 15 ans. C’est profondément déplorable mais les médias, soir et matin, en ont parlé pendant plusieurs jours. « La France sans kippa ce n’est plus la France » a dit un personnage politique d’importance. Bien sûr les Juifs doivent pouvoir porter la kippa avec fierté. Mais être attentifs aux insultes faites aux juifs plus qu’aux insultes faites aux musulmans est un comportement injuste qui fait souffrir les musulmans. En ce qui concerne l’embauche, il faut cacher les prénoms musulmans pour avoir quelque chance d’être embauché.

Mais, d’un autre côté, il faut que les musulmans s’efforcent de comprendre la laïcité. Ils doivent honorer la République. Ils doivent comprendre que vivre en France ce n’est vivre ni au Maroc ni en Algérie ni en Arabie Saoudite. A 80% les pratiques des musulmans en France ne sont guère que des traditions venues des pays d’origine. Il faut que les Etats d’origine arrêtent de nous donner des conseils. Par exemple le fait de s’habiller en djellaba a peut-être du sens pendant la prière mais pas dans les rues. Les femmes, au niveau vestimentaire, doivent, elles aussi, faire des efforts. D’accord pour le voile mais halte aux vêtements salafistes. Ceci dit, la plupart des musulmans sont bien intégrés dans le sens du respect de la laïcité et des valeurs de la République. Mais il y a encore du travail à faire.

Mohammed Benali


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