Mystique musulmane, mystique chrétienne :
la question de Dieu
Christine Fontaine et Michel Jondot
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La démarche mystique arrache le mystère de Dieu des mains d’un pouvoir humain, politique ou légaliste. Cependant elle n'est pas vécue de la même manière en islam et en christianisme.

Mystique et monothéisme

L’existence de ce qu’on appelle la mystique est commune aux trois religions monothéistes. Même si les articles de ces cahiers ne s’interrogent ici qu’à partir d’expériences musulmanes et chrétiennes, on ne peut oublier que le judaïsme, lui aussi, connaît ces démarches qui consistent à inventer des chemins permettant d’accéder à l’inconnaissable de Dieu. Le Zohar, par exemple, considère que les lettres de la Torah, par laquelle se communique la volonté d’un Autre, sont comme des vêtements qui cachent une réalité que le croyant doit s’efforcer de rejoindre.

En réalité, la démarche des mystiques est peut-être une contestation de l’idée de Dieu véhiculée par le monothéisme. Celui-ci est né de la fusion entre deux conceptions du divin. A peu près à la même époque, le Dieu des Juifs, prêché par les Prophètes, rencontrait la notion d’une Cause première ; la philosophie voyait en Dieu un principe d’explication à partir duquel la marche de l’univers et le comportement humain prenaient sens. Le Dieu des philosophes et des savants, cause suprême, se confondait bientôt avec le Dieu d’Abraham qui, loin d’expliquer le monde, libérait le cœur humain de la fascination des idoles et proposait une alliance à un peuple.

Au cours de l’histoire cette rencontre prenait des dimensions politiques gigantesques. La conversion de l’Empereur Constantin qui découvrait le Dieu des chrétiens, faisait de cette vision théologique un principe de gouvernement. Le centralisme impérial organisant l’Occident devait refléter l’ordre cosmique impliqué dans la référence au Dieu unique. La découverte de l’unité de Dieu entraînait une vision centrée autour d’un pouvoir venu de Dieu. Monothéisme et monarchie ont même racine. Il incombait aux princes et aux rois de faire respecter un ordre où les relations entre les uns et les autres correspondraient à celui de l’univers. Les personnes sont soumises à leurs supérieurs qui tiennent leur pouvoir de Dieu comme les effets sont soumis aux causes qui les ont produits.

L’unité d’une communauté humaine, reflet de l’unité de Dieu, a entraîné des situations de violence difficilement tolérables. On sait les cruautés dont l’Inquisition s’est rendue coupable. Son intention était louable : il s’agissait de maintenir une cohésion sociale qui aurait disparu si les sujets d’un Royaume n’avaient pas été retenus dans une communauté absolue de croyance ; toute déviation doctrinale menaçait l’unité qu’il fallait préserver. Il y allait des idées nouvelles ou libres comme des épidémies : on écarte l’hérétique comme le lépreux ou le pestiféré pour sauver la société. Certains courants musulmans, à l’heure actuelle, veulent maintenir ce lien au Dieu unique en imposant aux responsables politiques le soin de faire respecter la Sharia ; celle-ci est l’expression de la volonté de Dieu. Là encore, le but visé est non seulement le respect du Dieu Un mais l’unité des sujets humains. Révélatrice à cet égard est la réflexion du penseur des Frères musulmans Sayyid Qutb : « Le Royaume de Dieu n’existe que quand la Loi divine (Shari’a) est souveraine...L’esclavage majeur, aux yeux de l’islam, c’est d’être soumis à des lois faites par d’autres hommes alors que cette soumission ne doit se faire qu’à Dieu... (Ceci) concerne l’homme, la race humaine, son objectif est la terre entière ». Un seul Dieu, une seule loi, une seule humanité.

Le dépassement de tout système

Dieu, principe du tout, est nécessairement hors du tout. Par ailleurs, si sa volonté s’impose aux hommes, si elle fait souverainement la loi des sociétés, cela implique un système de récompense et de punition : Dieu sera le juge qui en fin de compte décidera du sort final de chacun : Paradis ou Enfer.

Ceci entraîne une certaine contradiction pour ceux et celles qui croient en sa Révélation. Musulmans et chrétiens se réfèrent au fait qu’Il ait parlé : le Coran est parole de Dieu incréée adressée aux hommes par Mohammed. Quant aux chrétiens, ils sont sensibles à la phrase qui, dans le Nouveau Testament, commence ce qu’on appelle l’Epître aux Hébreux : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par un Fils ».

Parler met en présence des sujets. Parler fait entrer ceux qui s’entretiennent dans le désir que les uns ont des autres. Parler à l’autre ou l’écouter, lorsque ces opérations sont vécues en vérité, conduit aussi à faire une expérience de gratuité où l’autre est considéré pour lui-même et non pour l’intérêt que je puis en tirer Mais lorsque l’interlocuteur est Dieu, une question se pose : comment entrer dans le désir d’un partenaire inaccessible ou, pour parler comme les philosophes et les théologiens, comment rejoindre quelqu’un qu’on nous présente comme transcendant  ? Comment vivre dans la gratuité lorsque celui qui s’adresse à moi doit sanctionner mes actes ? Ma fidélité à observer ses « commandements » risque d’être une façon de préserver mes intérêts propres ; elle me procurera la béatitude éternelle et m’évitera les flammes de l’enfer. Il s’agit plus d’un marchandage que d’un entretien.

Laisser, en ce monde, à un pouvoir humain, clérical ou princier, le soin de régler les conditions de la rencontre avec un être hors de ce monde ne peut que décevoir les croyants. Adhérant à la Révélation, ils risquent d’être déçus si une autorité quelconque impose un comportement brisant le cœur à cœur. En islam comme en christianisme, des hommes et des femmes ont refusé de se laisser enfermer dans un système religieux contraignant le croyant à se soumettre à une autorité censée lui dicter son comportement « au nom de Dieu ». Ainsi naissait, à l’intérieur des divers monothéismes, des courants particuliers qui se distinguaient du courant religieux officiel sans pourtant s’y opposer. Dès que l’Empereur Constantin entreprit de présider, en vertu de son titre impérial, aux destinées de l’Eglise, des hommes partirent loin des lieux du pouvoir, au désert, pour inventer une vie nouvelle et mystique qu’on appellerait plus tard le monachisme. Il s’agissait, par des moyens ascétiques et non par simple soumission aux exigences de l’institution, de trouver une voie pour rejoindre l’Autre en vérité ou, plus exactement, pour se laisser rejoindre par Lui. Il s’agissait de se mettre à son écoute et de tenter de lui répondre.

Fuite du monde ? L’histoire prouve que non. La vie de ceux qu’on appelle « les Pères du désert » attirait des foules avides de recevoir leur témoignage et, sans l’avoir cherché, ils jouèrent un rôle important dans les grands conciles qui furent des tournants dans la vie de l’Eglise. A une époque où l’Empire musulman atteignait son apogée, au VIIIème siècle de l’ère chrétienne, une femme du peuple, Rabya, d’abord esclave avant d’être joueuse de flûte, faisait l’expérience de la gratuité dans la rencontre de son Seigneur. Elle considérait comme une trahison de se tourner vers Lui par crainte de l’enfer. (« O mon Dieu, si je t’adore par crainte de l’enfer, brûle-moi en enfer  ; mais si je t’adore par espoir du paradis, exclus-moi du paradis ; mais si je t’adore uniquement pour toi-même, ne me prive pas de ta beauté éternelle »). De Basra, en Perse où elle a vécu, s’amorçait alors un mouvement qui ne s’est jamais arrêté, prenant des formes différentes mais cherchant à rejoindre l’aimé inaccessible.

A la recherche du pur amour

A la suite de ces démarches personnelles à la recherche d’un pur amour, refusant de réduire la foi aux impératifs de la loi, il s’agissait de trouver un chemin, celui du désir, qui seul conduit à l’aimé. L’amour dont il est question est en effet le plus humain qui soit. Ceux qu’on appelle « les mystiques », tant dans la tradition musulmane que dans la tradition chrétienne, vivent d’un amour qui n’a rien de métaphorique. Il s’exprime dans les termes qui viennent sur les lèvres des amoureux avides de s’unir et ouverts au bonheur de l’autre. Il est à la fois, pour parler comme les théologiens, éros et agapè. Il est important de remarquer que le vocabulaire des musulmans et des chrétiens, en la matière, est étrangement semblable. Au 16ème siècle, Thérèse d’Avila était à la recherche du Prince charmant. La vie spirituelle, à ses yeux est un vrai roman. Elle est une quête à l’intérieur d’une série de demeures dans un château intérieur ; dans l’une d’entre elle se trouve le Roi à épouser et la mystique s’efforce de le trouver. A la même époque, les poèmes de Jean de la Croix, s’inspirant d’un livre de la Bible (« Le Cantique des Cantiques ») comparent l’âme humaine rencontrant Dieu à une femme amoureuse :

« L’épouse est donc entrée
Dans le jardin de délices qu’elle désirait
Et joyeuse elle repose, le cou penché,
Sous les doux bras du bien aimé »

La saveur de ces poèmes chrétiens n’est pas étrangère au style des spirituels musulmans. Un des poètes les plus célèbres de la littérature persane, Hafez au 14ème siècle, a écrit un certain nombre de textes qu’on a pu regrouper sous un titre significatif aux allures trinitaires : « L’amour, l’aimant, l’aimé ».

« Nous sommes les voyageurs à l’étape de l’amour.
...Que la lumière de l’Amour
Embrase ton cœur et ton âme ! »

A un ordre du monde unifié sous la loi du Dieu Un s’oppose, à en croire les mystiques, une démarche qui dépasse la loi et conduit le croyant à inventer son chemin quitte à trouver un guide ou un ordre religieux pour l’orienter. On comprend que les autorités politiques ou religieuses se soient méfiées, voire insurgées. La quête de Dieu, souvent, a marginalisé des croyants et les a soumis à rude épreuve.

Arracher le mystère de Dieu
aux dérives totalitaristes

On peut se demander si la quête spirituelle des mystiques ne conteste pas de quelque manière la conception monothéiste dont le pouvoir politique et religieux a longtemps été le garant. On connaît la révolution du siècle des Lumières. Arrachant à l’Eglise le soin de maintenir l’ordre du monde et des sociétés, les philosophes du 18ème siècle prétendaient libérer l’humanité. Une fois détrôné le Dieu Un, principe de tout, la violence n’a pas cessé pour autant. C’est bien une société préservée de toute altération, une race pure, que le nazisme prétendait faire advenir. Mais à quel prix ! De même le système soviétique, tout athée qu’il ait été, créait le Goulag en se fixant pour idéal l’avènement d’une société indifférenciée. Aujourd’hui même, la « mondialisation » déshumanisante que l’on connaît n’est-elle pas la version moderne de l’unification romaine dont Constantin se voulait l’artisan ? Après avoir longtemps reproché aux religions de s’être enfermées dans le culte d’un Dieu Un, aujourd’hui bien des penseurs s’interrogent. N’est-ce pas une certaine conception de l’unité qu’il faut contester plutôt que le monothéisme ? L’expérience des mystiques à travers l’histoire de l’islam comme du christianisme conduit à penser qu’on parle mal de Dieu lorsqu’on affirme son unicité. Qu’est-ce que l’Un absolu sinon le refus de l’Autre ? Qu’est-ce que l’Un sans l’Autre sinon la porte ouverte au totalitarisme ? C’est bien la négation de l’unité que manifeste l’expérience mystique. Se reconnaître aimant ou aimé, reconnaître l’amour, c’est reconnaître que l’un n’est pas inaltérable : l’un ne va pas sans « autre » (« Dieu devenu manifestement friable » dit le poète Jean Grosjean).

Ecouter le témoignage des mystiques conduit à ne pouvoir prononcer le mot « Dieu » qu’à la condition de ne pas se laisser enfermer dans l’alternative « monothéisme » / « athéisme ». Il faut redécouvrir le mystère du mot « Dieu » en l’arrachant aux dérives totalitaristes auxquelles il demeure attaché, aujourd’hui peut-être plus que jamais. Le 11 septembre 2001 voyait l’affrontement de deux systèmes globalisants : celui d’un islamisme sans nuances et celui du pouvoir américain enfermant la planète dans un fonctionnement économique totalisant. La Palestine est le champ où s’affrontent les trois monothéismes qui se réclament d’Abraham. Seule une redécouverte de Dieu permettra aux croyants d’œuvrer pour la paix. Seuls, peut-être, les vrais mystiques et non pas les hommes religieux, surtout s’ils prétendent jouer un rôle politique, quel que soit leur rang dans la hiérarchie, pourront sauver la vérité de Dieu.

Mystique musulmane et chrétienne:
un même amour,
deux démarches différentes

Du mystique Hallaj au chrétien Massignon.

On a vu que le comportement et le vocabulaire des mystiques musulmans et des mystiques chrétiens se ressemblaient. Est-ce à dire que la mystique serait le champ privilégié de la rencontre interreligieuse ?

Sans doute des exemples fameux permettent de le penser. A une époque où la raison prenait le relais de la théologie pour expliquer l’univers, un intellectuel soucieux de rigueur scientifique, Louis Massignon, découvrait la vie et la spiritualité d’un homme dont il étudiait ce qu’il appelait « la courbe de vie ». Il s’agissait de Halladj, un soufi qui, au 10ème siècle de l’ère chrétienne, avait intériorisé de façon intense les pratiques de l’islam. Il avait fait une expérience de la rencontre de Dieu qui l’avait rendu suspect aux autorités religieuses autant qu’aux autorités politiques : un procès lui fut intenté qui se prolongea pendant neuf ans et aboutit à un supplice barbare : son corps fut écartelé et mis en croix. On considérait comme blasphématoire le fait qu’il se soit considéré comme le lieu où se manifestait la parole de Dieu.Il aurait dit « Ana’l Haqq  » : « je suis la vérité » ; l’expression fut considérée comme un blasphème. En réalité, disant cela, il s’efforçait de disparaître pour laisser l’Autre prendre sa place. Décelant le travail de Dieu à travers cette vie humaine, Massignon découvrait le mystère de Jésus et devenait une des plus grandes figures du christianisme que l’Eglise ait connues en France au siècle dernier. A son contact, des intellectuels musulmans trouvaient de quoi alimenter leur foi musulmane : l’article de Yann Richard, dans ce numéro, évoque la dette du mystique musulman, Shariati, à son égard.

Si le dialogue entre mystiques musulmans et chrétiens est aisé, il faut néanmoins reconnaître que les deux démarches ne peuvent pas se confondre. Pour le lecteur du Coran, Dieu est un être absolument transcendant qu’on ne peut atteindre. Lorsqu’un homme ou une femme prétend être rejoint par lui, il vit une expérience insensée, inacceptable aux yeux de l’islam. De Dieu à l’homme il n’est d’autre chemin que celui d’une loi à laquelle il faut se soumettre. Dans ces conditions, toute rencontre est problématique.

Pas l'Un sans l'Autre en christianisme

Que se passe-t-il chez celui qui se réfère au Dieu de Jésus-Christ  ? Au fil des siècles, les chrétiens semblent avoir oublié que la rencontre entre Dieu et l’homme est au cœur du mystère de la foi. Si la pensée théologique s’est efforcée de penser le mystère de Dieu en lui-même, opposant sa transcendance inaccessible au monde où se déroule l’histoire, ils ont négligé cette conviction qui s’est pourtant imposée par un concile en 451 à Chalcédoine. Certes le monde de Dieu et celui de l’homme ne peuvent se confondre mais on ne peut les séparer. Entre l’un et l’autre, on ne peut parler d’unité mais d’alliance. C’est le propre de toute vie chrétienne et les sacrements qui la jalonnent manifestent et réalisent cette communion entre le croyant et Celui qu’il appelle Seigneur. Certaines personnalités plus que d’autres ont vécu dans la conscience aiguë de ce lien d’amour noué en Jésus mais, en réalité, toute vie de baptisé est une vie mystique dont on peut rendre compte. En réalité, pour être cohérent avec lui-même, le chrétien vit un monothéisme particulier. Autre est l’humanité, autre la divinité mais l’une ne va pas sans l’autre. Pas l’Un sans l’Autre dans la cohérence chrétienne ! Le mot « amour » exprime ce lien.

Précisons encore que lorsque le chrétien parle de ce mouvement de l’un à l’autre, il n’oppose pas l’amour de Dieu et l’amour simplement humain. L’entrée dans le désir de Dieu, s’est toujours accompagnée, chez les grands mystiques, d’un mouvement vers autrui. L’ermite qui fuit au désert en vient, lorsque sa démarche est authentique, à retrouver la société humaine. L’amour de l’homme et de la femme est considéré comme sacrement : le croyant reconnaît que le lien conjugal qui le voue à un conjoint le fait entrer en Alliance, c’est-à-dire dans le désir que Dieu a de l’homme. Les grands mystiques, comme Jean de la Croix ou Thérèse d’Avila, ne séparent pas l’élan qui les pousse vers Dieu de la vie au milieu d’une communauté religieuse. Il convient de signaler l’expérience récente d’une chrétienne dans la banlieue parisienne. Madeleine Delbrel, pour faire l’expérience de la tendresse de Dieu dont elle a su parler avec une conviction étonnante, a voulu partager, dans une ville marxiste, la lutte et la condition difficile du monde ouvrier aux lendemains de la seconde guerre mondiale.

On ne peut reconnaître la vérité de Dieu, en effet, que là où elle réalise son œuvre d’amour. Lorsque se nouent des alliances humaines authentiques, le lien qui unit les uns aux autres se fait, c’est du moins la conviction chrétienne, au nom d’un Autre. Lors du dernier repas qu’il prenait avec ses disciples, au cours d’un entretien empreint d’une belle affectivité, Jésus parlait d’un Autre qu’il nommait Père. Au disciple qui lui demandait de lui montrer cet Autre en question, Jésus répondait : « Qui me voit, voit le Père ». L’Autre, le Tout-Autre est là, lorsque des visages humains se font face. Toute vraie relation à l’autre est rencontre de l’Autre : le mystique chrétien en fait l’expérience et en fournit le témoignage.


La mystique musulmane : s'effacer devant Dieu

Il semble qu’en islam, le souci de maintenir intacte la transcendance de Dieu rende impossible de dire que le lien mystique est un lien d’alliance.

Certes l’islam a un sens de l’autre particulièrement aiguisé et l’hospitalité y tient une grande place. Mais il s’agit plus d’une exigence éthique, semble-t-il, que d’une expérience mystique. Par ailleurs, celui qui s’engage dans la voie mystique, s’efface pour faire place à Dieu. Le « Je » humain disparaît et laisse Dieu parler. « Je suis la vérité » : ces mots, sortant des lèvres de Halladj, échappaient à celui qui les prononçait ; ce dernier n’avait plus qu’à disparaître pour laisser toute la place au Dieu UN. Entre Dieu et celui qui prétend l’aimer, il semble qu’il n’est pas d’autre alternative : non point l’Un en présence de l’autre mais l’Un ou l’autre.

En octobre 2007, après le malentendu provoqué par les propos de Benoît XVI à Ratisbonne, 138 intellectuels musulmans avaient publié un texte qui cherchait à produire une parole commune entre chrétiens et musulmans. C’est autour du mot « amour » que tournaient leurs propos. L’amour conteste l’unité sans faille que prône souvent l’islam. On peut voir dans ce manifeste un heureux symptôme. Peut-être l’histoire a-t-elle trahi la Révélation que Dieu a faite de lui-même. Sans doute les croyants des différentes confessions monothéistes ont-ils, les uns et les autres, enfermé le mystère de Dieu dans un imaginaire aux conséquences douloureuses. Ce mot « amour » auquel tant de mystiques musulmans et chrétiens ont donné chair, peut purifier notre approche de Dieu. A coup sûr si entre musulmans et chrétiens grandissent le respect, l’estime, autrement dit si l’amour entre eux prend la place de la loi, une expérience authentiquement mystique est vécue. Le mystère de Dieu n’en est pas pour autant dévoilé mais son nom en sort purifié.

Christine Fontaine, Michel Jondot

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