L'avenir des chrétiens au Moyen-Orient
David Neuhaus, sj
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Le Père Neuhaus est le vicaire patriarcal pour la Communauté catholique hébréo phone d’Israël. « L’émergence d’un islam politique a fait naître une peur légitime chez les chrétiens... La peur peut- être surmontée. » (Source «Chiesa online»)

Actuellement, lorsque l’on veut parler de la situation des chrétiens au Moyen-Orient, il faut dans tous les cas commencer par prendre acte de la peur qui a saisi ces communautés lorsqu’elles ont vu les horribles scènes qui étaient diffusées en provenance de l’Irak et de la Syrie. […]

Cette peur est associée à une expression qui vient facilement aux lèvres de ceux qui étudient la situation actuelle : « la persécution des chrétiens». Il ne fait aucun doute que si les chrétiens sont assassinés, c’est parce que leurs bourreaux musulmans extrémistes les considèrent comme des infidèles, des polythéistes ou des espions qui travaillent pour l’Occident.

Et pourtant, comme l’a indiqué le Comité Justice et Paix de l’assemblée des ordinaires catholiques de Terre Sainte : « Au nom de la vérité, nous avons le devoir de souligner que les chrétiens ne sont pas les uniques victimes de cette violence et de cette férocité. Les musulmans laïcs, tous ceux qui sont considérés comme hérétiques, schismatiques ou simplement comme non alignés sont également attaqués et assassinés ». […]


Peur de quoi ?

La peur est mauvaise conseillère. Pour l’affronter et la vaincre, il faut la comprendre. Les chrétiens constituent une fraction particulièrement vulnérable du monde arabe, parce qu’un bon nombre d’entre eux se sont toujours refusés à s’organiser selon des critères confessionnels, comme des partis politiques ou des milices.

Pendant des décennies, à partir de la fin du XIXe siècle, les plus motivés d’entre eux au point de vue politique et social ont consacré leur énergie à développer le nationalisme arabe laïc sous ses diverses formes. Ils ont travaillé à ce projet en collaboration avec des musulmans et avec des membres d’autres communautés minoritaires qui avaient les mêmes convictions qu’eux.

Ce qui, habituellement, est connu sous le nom de « réveil arabe  » a été couronné de succès jusqu’au point où les arabes ont développé le sens de leur identité, fondée sur la langue et sur la culture arabo-musulmane, dans le cadre de cette vaste partie du monde qui a été le centre des civilisations antiques qui ont donné au monde le judaïsme, le christianisme et l’islam.

À la suite de la guerre arabo-israélienne de 1948, les monarchies qui existaient dans plusieurs régions du monde arabe ont été renversées par des révolutions nationalistes. Cependant ces nouveaux régimes, bénéficiant souvent d’un ferme soutien de l’armée et de la police, se sont transformés ultérieurement en dictatures et ils ont eu recours à des systèmes de répression brutaux pour étouffer toute opposition. On trouve, parmi les victimes de ces régimes, des membres de certains mouvements qui avaient pour but de renforcer l’identité musulmane et de développer des modèles de gouvernement islamiques et anti-occidentaux.

Le document du Comité Justice et Paix qui a été cité plus haut affirme : « Sous ces régimes dictatoriaux, les chrétiens ont vécu dans une relative sécurité. Ils craignaient, dans le cas où cette autorité forte disparaîtrait, que n’apparaissent le chaos et des groupes extrémistes qui, en s’emparant du pouvoir, apporteraient la violence et les persécutions. C’est ce qui explique pourquoi certains chrétiens avaient tendance à soutenir de tels régimes. Alors que, au contraire, la loyauté vis-à-vis de leur foi et le souci du bien de leur pays auraient peut-être dû les pousser à s’exprimer plus tôt, en proclamant la vérité et en demandant les réformes nécessaires pour parvenir à davantage de justice et à un plus grand respect des droits de l’homme, en même temps que beaucoup d’autres chrétiens et de musulmans qui ont osé prendre la parole ».

Il semble donc que les pires cauchemars des chrétiens soient devenus la réalité lorsque les régimes dictatoriaux relativement laïcs ont été défiés par l’islam politique.

L’émergence de cet islam politique a fait naître une peur légitime chez les chrétiens. Ceux-ci, dans le meilleur des cas, allaient se trouver marginalisés par rapport à un système politique qui mettrait l’accent sur l’identité confessionnelle et qui définirait la société en termes confessionnels. Dans le pire des cas, en revanche, les chrétiens allaient être assassinés, chassés de leurs propres maisons, privés de leurs droits, contraints à subir des extorsions et des humiliations. […]

La peur peut être surmontée au moment où les chrétiens entrent directement en contact avec les responsables des différents courants de l’islam, mais également au moment où ils mettent ceux-ci au défi de réfléchir aux conséquences de leurs idéologies et de leurs intentions.

En effet, un certain nombre de courants de l’islam ont dès à présent commencé à réfléchir au défi que représente la diversité confessionnelle et ils se sont déjà mis à dialoguer avec les chrétiens.

À cause de la peur on a tendance à croire que tous les musulmans défendent une seule perspective, dans laquelle les chrétiens n’auraient aucune place. Surmonter la peur signifie être capable de percevoir la diversité au sein de ce phénomène complexe qu’est le réveil islamique.


Surmonter la peur et l’isolement

Le premier résultat qui ait été produit par la peur est une tendance à l’isolement. Cette tendance dont on peut constater l’existence chez les chrétiens du Moyen-Orient consiste à s’isoler dans leurs propres quartiers, dans leurs propres institutions et dans leurs propres cercles. Après avoir refusé pendant des décennies les tendances isolationnistes dans le domaine politique, certains chrétiens voudraient aujourd’hui avoir leurs propres partis politiques.

Les plus extrémistes vont jusqu’à proposer que l’identité chrétienne exclue l’élément arabe, sa langue et sa culture. Dans cette perspective, les chrétiens seraient araméens en Syrie, phéniciens au Liban, coptes en Égypte, chaldéens en Irak, araméens en Israël, mais surtout ils ne seraient pas arabes.

Surmonter la peur et ce qui en est le résultat, c’est-à-dire l’isolement, présuppose que les chrétiens sortent des ghettos qu’ils se sont imposés, de manière à découvrir tous ceux qui, dans le monde arabe au sens large, sont menacés de la même manière par des perspectives musulmanes monolithiques qui mettent en danger la composition même de la société moyen-orientale.

En premier lieu, il faut reconnaître que les premières victimes de l’extrémisme islamiste sont précisément ces musulmans qui ne sont pas d’accord avec le point de vue des extrémistes. Ces derniers ont massacré davantage de musulmans que de chrétiens. Et des musulmans en nombre encore plus élevé ont pris la fuite par peur.

En deuxième lieu, d’autres minorités courent un danger encore plus grand que celui qui pèse sur les chrétiens. Il s’agit, par exemple, des yazidis, des druzes ou des alaouites, parce que les extrémistes considèrent que la foi et les pratiques de ces minorités-là vont au-delà de ce qu’un musulman peut tolérer en matière de diversité religieuse.

En troisième lieu, les différents courants qui existent au sein de l’islam politique ne partagent pas une même conception des relations qu’il convient d’avoir avec les non-musulmans. Les chrétiens doivent chercher quels sont, parmi ces courants, ceux qui sont disposés à la rencontre et au dialogue. […]


Institutions et discours chrétiens

L’exhortation apostolique «Ecclesia in Medio Oriente» de Benoît XVI met l’accent sur le rôle prioritaire joué par les institutions chrétiennes présentes dans cette partie du monde en ce qui concerne la mission. […]

Des centaines d’écoles, d’universités et d’institutions pour les pauvres, pour les personnes âgées et pour les handicapés, d’hôpitaux et d’autres institutions qui proposent une éducation et des services sociaux et qui appartiennent à l’Église sont répandues sur tout le territoire du Moyen-Orient.

En pratique, toutes ces institutions sont caractérisées par leur dévouement et par les services qu’elles offrent aux communautés près desquelles elles se trouvent, ainsi que par l’ouverture dont elles font preuve à l’égard de chaque individu et de tous, qu’ils soient musulmans, chrétiens, ou encore membres d’autres minorités. Ces institutions révèlent le visage d’une présence chrétienne qui veut être au service non seulement des chrétiens, mais également de la société dans son ensemble.

De telles institutions représentent un progrès très significatif au-delà de la peur et de l’isolement. Certaines d’entre elles sont particulièrement importantes : ce sont celles qui servent presque exclusivement des populations musulmanes, montrant ainsi le visage d’une Église qui cherche à contribuer à la construction d’une société fondée sur la convivialité et sur le respect. Dans la bande de Gaza, 98 % des élèves des écoles chrétiennes sont musulmans.

D’autre part, on peut rappeler que, à la suite des révolutions qui ont été menées par le parti Baas en Irak et en Syrie, presque toutes les institutions chrétiennes ont été nationalisées dans ces pays, ce qui a eu pour conséquence la disparition de cette forme de présence chrétienne dans la société. Il est possible que la catastrophe actuelle ne soit pas dépourvue de liens avec ce fait. […]


La foi contre la peur

Face aux peurs que les chrétiens continueront à ressentir aussi longtemps que le Moyen-Orient sera secoué par l’instabilité et par le chaos, l’unique antidote chrétien est la foi. Les chrétiens portent le nom de leur Maître, qui ne leur a pas promis une vie facile. À ceux qui le suivaient, le Christ a déclaré : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. En effet celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8, 34-35). Ces phrases ont guidé des générations de chrétiens, qui ont donné leur vie pour témoigner de leur foi en l’Évangile.

On comprend facilement pourquoi beaucoup d’entre eux préfèrent garantir à leurs enfants un avenir meilleur dans un monde apparemment plus sûr, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou en Australie. Une diaspora des chrétiens du Moyen-Orient peut même aller jusqu’à fournir une aide à ceux qui décident, toutes réflexions faites, de rester dans leur pays, ou à ceux qui, simplement, n’ont pas les moyens de partir.

Cependant, il y a d’autres chrétiens qui, inspirés par leur propre courage, par leur détermination et par leur foi, font le choix, en dépit de toutes les circonstances qui s’y opposent, de rester sur la terre de leurs ancêtres, parce qu’ils savent qu’il en va de leur vocation et de leur mission, et qui décident de donner le témoignage du Christ dans la région même où celui-ci a marché.

Ce sont ces chrétiens-là qui, grâce à leur sens de la mission, assurent l’avenir de l’Église au Moyen-Orient. Ils se sont retroussé les manches et ils ne regardent pas en arrière, ils ne s’enfuient pas. Ils n’ont pas peur ; ils ne lancent même pas d’accusations ; ils ne s’isolent pas derrière des barrières confessionnelles ; ils ne se laissent pas paralyser par l’amertume qu’ils ressentent ; ils regardent plutôt vers l’avant, en cherchant à distinguer le chemin qui permet d’aller plus loin.

La foi est, au-delà de la peur et de l’isolement, la seule voie sûre qui conduise vers l’ouverture et vers le service, lorsqu’on se met à la recherche du Christ et que l’on marche à la suite de Celui qui est allé à la rencontre de tous les hommes, y compris de ceux qui étaient le plus éloignés. La foi est le sentiment profondément enraciné que la victoire a déjà été obtenue par la résurrection et que, quelles que soient les croix rencontrées au long du chemin – l’extrémisme, la haine et le refus – les forces de mort ont été surmontées dans la Croix du Christ. En définitive, c’est la vie qui triomphe.

Au Moyen-Orient, chez les chrétiens durement éprouvés, le renouvellement de la foi passe certainement par un sens renforcé de l’unité des chrétiens qui dépasse les divisions confessionnelles du passé. À plusieurs reprises, le pape François a mis l’accent sur « l’œcuménisme du sang », comme il l’a fait, par exemple, dans le discours qu’il a prononcé devant le Saint Sépulcre de Jérusalem, où il se trouvait en compagnie de Barthélémy, le patriarche œcuménique de Constantinople. […]

De la même manière, le renouvellement de la foi passe par le fait de s’engager dans un dialogue avec les musulmans (ainsi qu’avec les juifs dans le territoire israélo-palestinien), dans un appel authentique et honnête au respect des uns par les autres et dans un travail effectué en commun afin de construire une société qui soit libérée de l’oppression, de l’ignorance et de la peur. Ce qui renforce également la demande d’une égalité entre les citoyens, de telle sorte que ceux-ci jouissent des mêmes droits et soient soumis aux mêmes obligations.

C’est cette voix de la foi que l’on peut percevoir dans la déclaration de la Commission Justice et Paix, lorsque celle-ci affirme : « Nous prions pour tout le monde, pour ceux qui unissent leurs efforts aux nôtres et pour ceux qui nous font du mal aujourd’hui, et même pour ceux qui nous tuent. […] Notre seule protection est dans le Seigneur et, comme lui, nous offrons nous aussi nos vies pour ceux qui nous persécutent, mais également pour ceux qui, avec nous, défendent l’amour, la vérité et la dignité. »

David Neuhaus, sj


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