Le corps vu par un artiste
Mehdi Dominik Doulain

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Mehdi Dominik Doulain est un musulman converti. Cet artiste a sur l’Islam un jugement qui ne sera pas partagé par tous les lecteurs : tant mieux s’il fournit une occasion de dialoguer.

Il s’agit là d’une réflexion issue de ma pratique d’artiste, de mon enseignement, de mon parcours, et des rencontres et lectures qui ont alimenté ma pensée. J’ai souhaité remettre les choses en perspective afin d’essayer d’expliquer les différents positionnements et problématiques que le sujet demande d’aborder.

Pas de vie hors de la matière

On ne peut faire l'expérience de la vie sur terre en faisant fi de la matière,
Il n’y a pas de vie sans matière ! Toute chose pour exister sur notre planète a besoin de matière,
pour l’être humain, c’est le corps :
Matière essentielle et existentielle dans ce bas monde !

Peut-être que sur d'autres planètes, la vie se passe différemment. On nous parle des êtres éthérés, sans matière ou d’autres formes de vie que je vous laisse imaginer, mais ici bas pour l’être humain,
la matière c’est le corps qui nous porte…
Autre élément fondamental dans ce contexte ; il n’y a pas deux corps pareils !
Chacun est différent par nature, chacun évolue différemment, nous allons le voir… mais en attendant il faut savoir que chacun par instinct, va toute sa vie essayer de mettre en valeur sa différence, ses spécificités.

En résumé, pour l’être humain le corps c’est :
une matière originelle qui évolue et s’adapte
une forme particulière, une physionomie pour chacun
une sensibilité particulière liée au corps et à ses capteurs : les sens
un cerveau, et donc un esprit, une pensée, une raison, une culture etc !
Le corps à ses raisons que la raison ne connait pas ... pour plagier la formule du « coeur » !

Le fonctionnement des sens

Les capteurs que sont les sens - vue, oui, odorat, goût, toucher - fonctionnent en permanence
de la naissance à la mort, de jour et de nuit, bien sûr de façon différente. Leur fonctionnement est lié à l’instinct de vie, au désir de vivre à la volonté de se mettre en valeur dont je parlais ;
L’ensemble des capteurs apportent en permanence, la matière à vivre - le vécu -.
Plus le vécu est riche plus les sens fonctionnent et plus la vie a de relief et d’intensité !

Dés la naissance, le médecin, pour « calmer » l’enfant, le dépose sur le corps de sa mère afin qu’il se rassure… c’est le toucher qui se met en route. Puis, grâce à la succion du sein, le bébé découvre le goût, et encore le toucher par la lèvre et la bouche.
Les sens sont en marche ils vont travailler pour informer et qualifier le corps toute la vie !
Ils recherchent en permanence à vibrer pour la découverte de nouvelles émotions.
Plus le sens travaille - et cela nous le percevons bien - plus la sensation est forte , souvent il nous saisit et nous coupe le souffle, il nous fait tressaillir ! C’est tellement vrai, que si nous revoyons les amis qui ont vécu en même temps que nous, cette émotion vive, une dizaine d’année après, tout le monde s’en souvient très bien… elle laisse une trace indélébile. Prendre la main d’un ami à 9h du matin ou à 23h, donne des qualités très différentes au toucher… Ecouter une musique seul dans le noir produit des sensations fortes, qui sont plus saillantes que celles du jour…
Tous ces affects, ces sensations, ces émotions, on ne les oublie jamais…
Cette plateforme sensible, se développe, s’enrichit tout au long de la vie. les reliefs de la vie s’inscrivent dans cet espace… Certaines émotions, de temps en temps, sont des frayeurs, des peurs
qui ne sont pas douces et positives; au contraire elles sont dures et nous affligent !… Mais toujours « l’instinct de vie » reprend le dessus.

Le corps et la communion avec autrui

On active instinctivement cet « espace sensible » du cerveau, on cherche à le nourrir, à le surprendre, à le développer, à en parler aux amis et à partager nos sensations… Naturellement, nous voulons activer nos sens le plus possible; on va où l’on trouve ces émotions que l’on aime. Manger des fruits que l’on goûte etc… Plus cet espace est actif, plus nous souhaitions en parler… Ce qui nous fait du bien, ce qui nous surprend, ce que l’on aime on souhaite le partager, en témoigner. Ce sont de instants, de vie intense, de plaisir et de découverte…
C’est en fait un « liant » très puissant qui nous met en « vibration », je dirais même en communion avec l’autre; il est le moyen principal pour partager avec les autres. Souvent c’est pour être aimé, reconnu avec toute sa singularité avec toute son potentiel.
En fait cette volonté de partager, induite par les sens, est notre meilleur espace de rencontre avec notre entourage parce que généreux et respectueux et fondamentalement non égoïste: relation gratifiante pour les deux personnes qui échangent ! ou pour les amis qui sont là…
C’est le lien de qualité qui « relie » !

Bien sûr que l’être humain n’est pas que ce « corps sensible et intuitif » dont je viens de vous parler brièvement… Il est beaucoup plus !

Le corps et l’esprit

Oui en effet, et j’y viens maintenant, c’est aussi un esprit, une tête qui pense un super cerveau actif, agile, subtile et complexe qui analyse, réfléchit, induit, oriente, explique, motive, juxtapose, synthétise, et surtout s'avère créateur d’idées, de pensées, de concepts.
Une interface très active, subtile et étonnante, crée en permanence des liens entre cette mémoire des sens et la « mémoire raisonnante ».
Cette dernière liée à notre contexte, à notre parcours, aux parents, à la famille, à la culture, à l’éducation, à la religion, à la société installe de multiples réflexions, des choix de comportements.
L’éthique de chacun se construit par cette « synthèse subtile entre la raison et les sens ; elle porte nos choix personnels, notre gouverne, notre projet de vie …Une partition, une répartition entre le « sensible » et la « pensée ».

On peut décider de faire fi de cette plateforme sensible, on peut la sanctionner.
Par exemple, de ne pas apporter d’importance à la nourriture, et masquer les sens qu’elle active. On va mettre le sens en carence, on l’endort, on le remplace par une volonté mue par la pensée, par l’idée, par l’imaginaire que l’on développe pour donner primauté à l’esprit plutôt qu’à la perception sensorielle. On s’impose un cadre sélectif pour choisir ce qui nous semble « bien » et ce qui peut nous être néfaste…
On va y revenir…

Comme j’en ai parlé précédemment le corps , matière originale , est la forme qui personnalise, caractérise, authentifie chacun: « être c’est paraitre » dit Hamlet

Plastique et mystique

Dans ma recherche plastique, il y a plusieurs centres d’intérêts, certains conscients, d’autres inconscients. Avec les événements, les aléas de la vie, certains deviennent plus « saillants » plus importants. Cet espace infini des formes humaines perpétuellement renouvelées, en mouvement, pleines de singularités, parlent toutes du vécu, et bien sûr de l’intimité de chacun.
« Il faut que l’intimité des êtres tienne tête à la brutalité du monde » nous dit Wajdi Mouawad.
J’aime cette phrase, Elle dit bien ce rapport entre le « moi » et le monde. Grand lieu d’inspiration, ce moi intime génère des émotions, des sentiments, des questionnements, de l’attirance, de la séduction…

Ce qui me touche m’inspire, ce qui affecte les autres, me touche aussi !
Ce registre des formes du corps est le lieu de la création infinie de Dieu. Le créateur des créateurs !
Tout ce qui existe est le fruit de sa création, LUI c’est la création en totalité !
Notre monde c’est LUI, il n’y a pas d’ailleurs à sa création !
Cette création m’inspire, elle porte en elle la totalité, tout est elle. L’étonnement, l’émerveillement, l’émotion, la surprise, la séduction, l’attirance, la passion, la beauté tout vient de cette totalité. Chaque être est porteur de sa propre création, il aime qu’on la reconnaisse, et moi j’aime la deviner, la sentir, l’interpréter et la dessiner…

La peau, participe de ce corps.
Cette surface limite, entre l’extérieur et l’intérieur du notre corp,s est un paysage sensible et personnel qui parle profondément de notre présence. " Le plus profond c'est la peau ", disait Paul Valéry ;
Il extériorise ce que chacun décide de « montrer » ou de cacher. Le dévoilement de l’intimité et la pudeur, c’est justement cette limite que l’on décide, en fonction de ses choix, de sa culture, de sa société et des libertés que l’on se donnent, de montrer, de suggérer ou de masquer.

Le corps et la société

La présence et la réalité de chacun sont montrées par le corps qui est par nature expressif, sensible, et original. Il affirme ses différences, sa plasticité et ses qualités. Ce corps c’est aussi la tête, le visage, le regard, le faciès et la physionomie qui sont l’élément majeur de l’expression et des sentiments. Tout communique, s’échange, se lit dans ce visage qui regroupe les sens et les exprime…

Sous nos latitudes, le corps est toujours habillé dans un protocole que chacun choisit - plus ou moins - en fonction des habitudes et de la décences admises dans le pays, par la culture, notamment par les religions, par le climat et bien d’autres motifs etc.
Le corps a été quelque peu piégé par le vêtement, il n’existe que dessous et caché ! Les religions, les cultures, les politiques régissent nos libertés et elles imposent une éthique, des vêtements, des comportements, etc. Bien sûr, beaucoup des expressions, des qualités de chacun disparaissent sous une forme commune, « banale » malheureusement. Seuls, les visages demeurent et témoignent toujours avec d’innombrables possibilités de ce que vit la personne de ce qu’elle est.
Chacun va donc pour s’exprimer physiquement, plutôt suggérer, à travers ce filtre du vêtement.
C’est un jeu entre le vêtement de chacun et les regardants qui s’installe . Bien sûr, chacun construit son image témoignant profondément de l’intérieur, du caché… C’est un « jeu visuel » qui s’installe et qui est révélateur et passionnant à scruter à déchiffrer…
En Afrique, par contre, sous les latitudes chaudes notamment, dans une culture différente, cette présence du corps est plus « naturelle ». Ils le montrent, le qualifient, le magnifient. Le corps devient une présence « noble » valorisante et plus « humaine », plus vraie...

Le témoignage d’un artiste

La particularité de ma sensibilité est qu’elle a un lieu d’expression particulier. A travers le dessin, la peinture le volume et l’espace, je trace ce que je vis… La pratique, le « faire », sont une nécessité. Une tension s’installe entre ce que j’ai perçu, ressenti et le besoin de l’exprimer d’en témoigner. En fait, je dissous la tension par une action pratique qui, par la « fabrication » d’une « oeuvre », passe l’énergie du dedans au dehors. Les « fabrications » se font sur des modes différents suivant le moment, il n’y a pas de protocole …

La vision, capteur majeur, me rapatrie « tous ces événements », cristallisant ma perception, ma sensibilité… Ce territoire ne se contente jamais de ce qu’il a, il est en veille perpétuellement.
Si on regarde brièvement la physiologique de l’oeil, elle est étonnante, intelligente aves des capacités multiples et complémentaires. Elle travaille avec les couleurs, les formes, la lumière et la pénombre, et ,bien sûr, la totalité est envoyée dans le cerveau: mémoire vive qui retient tout. Cette compétence s’additionne à une compétence psychologique personnelle liée à notre parcours individuel que l’on valide chacun ; la sensation, l’évènement ressenti est le compromis des deux. Une façon authentique et particulière pour chacun de vivre sa « réalité ».

C’est vrai que les corps parlent sans cesse, à chacun et aux autres, bien sûr !. Les sens alimentent sans cesse cette « matière vivante » qui vibre en nous , qui nous interroge. L’instinct de vivre incite, provoque les sens, et plus ils travaillent et plus on est bien dans notre corps. Le corps et le sujet ne font qu’un ! Face à cette force naturelle, qualifiante et humaine, toutes les sociétés et particulièrement toutes les religions ont toujours essayé de donner des cadres trop souvent restreignant la liberté pour notamment une « vie éternelle » salvatrice que personne ne sait si elle existe ou pas !

On n' est pas fait pour vivre seul. Chacun a un bagage émotionnel qu’il souhaite exprimer; l’émotion, le sentiments les surprises sont des lieux que l’on aime partager; ils sont indispensables pour fabriquer de la proximité, du respect et du partage.

Ma spiritualité appartient à cette « espace sensible »: elle n’est pas que raison raisonnante! Elle se construit avec les « émois », avec le corps qui ressent et la pensée qui réfléchit, analyse et construit.

Mon intérêt pour l’Islam… malgré tout

Pour en revenir à mon parcours et mon intérêt pour l’Islam, je souhaite donner quelques précisions. Si je reste attaché à cette tradition c’est pour ce qu’elle donne à penser de fondamental pour l’éthique de chacun. Il me semble qu’actuellement le corpus de l’islam en France est détourné, pollué, politisé. La « géo-politique » les tensions entre les peuples et les pouvoirs en place ont fait de cette tradition religieuse, l’ombre de son ombre… Moi qui étais si séduit et imprégné par cette spiritualité ouverte, je n’arrive plus à m’y reconnaitre. D’ailleurs elle n’est plus porteuse de spiritualité malheureusement mais seulement d’un rituel simpliste d’obédience sectaire dont je me méfie beaucoup !

, L’Islam est actuellement réduit à un protocole triste et servile qui dénigre le « libre arbitre » et la raison individuelle. Cette tradition, audacieuse et novatrice à son époque qui a même proposé un statut « enviable » aux femmes, n’a pas su profiter de ses ouvertures pour mettre à jour une société de paix, durable, d’égalité et de respect.

Il y reste notamment toujours cette peur de la « femme » comme être humain, différente et inégale devant la loi. D’où la nécessité de ce voile pour cacher le corps au féminin … On cache par ce que l’on ne comprend pas ce que l’on ne veut pas voir ce qui fait problème. Cacher ce n'est pas résoudre le problème ! cacher c’est soustraire une partie et mettre en déséquilibre l’autre... D’ailleurs la plupart des femmes musulmanes voilées, toujours sous le joug, ne veulent pas voir qu’elles alimentent leur malheur ! Elles participent activement à leur sous- condition, à leur marginalisation, à leur dépendance par rapport à l’homme…

Aucune vision prospective, aucune actualisation du message pour le rendre « compatible » avec nos sociétés aujourd’hui… Elles se voilent de plus en plus !!! comme si elles avaient un intérêt a se voiler, c’est une impasse totale ! Elle accréditent une histoire qui les sanctionne, qui les dévalorise au sein de la société… « elles sont plutôt vouées à l’enfer » disent certains textes ! Vision désuète que l’on ressent encore à travers les comportements masculins sectaires d’un autre âge… Comment ce communautarisme fermé, discriminant, peut-il mettre ses fidèles en « bonne intelligence » avec l’évolution des sociétés actuelles ? …

Quelle plus belle chose, quel plus bon moment que de se sentir bien avec les autres ! Se sentir en lien, être en harmonie , sans tension dans le respect, dans l’empathie, dans la séduction. On aime être séduit et bien sûr séduire aussi. D’ailleurs cette séduction fonctionne avec chacun et le visage en porte le plus beau témoignage … la séduction appartient au corps de la tête au pied. Plus on cache ce corps, plus on extrait cette qualité et plus on verse dans une suggestion douteuse, dans une évocation vulgaire, et souvent dans la frustration qui peut provoquer le rejet, l’antipathie et même la haine…

En résumé, ma sensibilité au corps en général, au corps des autres en particulier, et à toutes ces formes expressives et sensibles en permanence en mouvement, s’exprimant, pleines de vitalité qui témoignent de la vie, du désir, des affects, des tensions, des peurs des joies est le lieu d’échange par excellence pour construire l’amitié , la sympathie, le respect, le partage et l’amour, entre les êtres.
L’être humain aime donner forme, être créateur, donner présence, extérioriser ce qu’il vit au fond de lui, révéler, se révéler, montrer, exister pour les autres.
Le corps est un lieu de désir donc pour moi un lieu de dessin. Dessiner, peindre, sculpter le corps c’est l'admirer, le regarder, l’aimer et témoigner de lui. J’aime donner forme à l’émotion, au désir !

Mehdi Dominik DOULAIN, Juin 2017
Oeuvres de Mehdi Dominik Doulain

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