Le témoignage de deux sages
Saad Abssi et Mohammed Benali
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Chacun connaît Mohammed Benali et Saad Abssi. On ne peut manquer, en écoutant leur témoignage, d’être touché par leur réponse à la question de savoir si, à leurs yeux, un chrétien peut être sauvé.

Les rites, prières et coutumes
qui entourent la mort

Saad, tu es responsable d’une association chargée de rapatrier les défunts et de les faire enterrer en Algérie. Les musulmans immigrés en France sont-ils nombreux à vouloir être enterrés dans leur pays d’origine ?

Saâd Abssi : Nous les Algériens, nous sommes trois millions en France. Un tiers désire être enterrés en Algérie. Pour cela ils payent une assurance pendant de nombreuses années ; c’est dire à quel point le fait d’être enterrés dans le pays où ils sont nés est important pour eux… car beaucoup ne sont pas riches et pourraient utiliser leur argent pour avoir un peu plus de confort pendant leur vie. Ils ont vécu en France, certains pendant presque toute leur vie ; leurs enfants vivent ici et n’ont aucun désir de retourner vivre en Algérie. Pourtant ils ne conçoivent pas d’être enterrés ailleurs que dans leur pays d’origine. C’est la marque d’un grand désir : retourner près des siens, même si ce n’est qu’après la mort… C’est peut-être la marque d’une grande souffrance qu’ils ont portée pendant toute leur existence. Même si par ailleurs ils sont heureux en France d’avoir vécu peut-être mieux qu’au pays (je parle pour les plus favorisés !), il n’empêche qu’ils portent cette blessure d’avoir dû se séparer de leur terre, de leurs ascendants, d’une partie de leur famille, de leur mode de vie. Etre enterré au pays représente ce retour sur la terre natale et leur place dans la filiation parmi leurs propres ancêtres.

Un tiers des musulmans algériens prennent des mesures durant leur vie pour pouvoir être enterrés au pays ; le nombre est important mais reste que deux tiers ne s’en soucient pas. Est-ce ceux qui ont le plus souffert de l’exil qui veulent une tombe au pays ? Je ne saurais l’affirmer. Nous n’avons pas fait d’enquête, mais c’est possible. Les enfants – même s’ils savent qu’ils ne retourneront jamais vivre en Algérie - respectent la volonté de leurs parents et à chaque séjour iront visiter la tombe de leurs défunts.

Quels sont les coutumes ou les rites qui accompagnent la mort ?

S.A. Quand on rentre dans un cimetière en France, on constate que beaucoup de tombes sont fleuries. A un enterrement dans une église, on voit souvent beaucoup de fleurs autour du corps. Les musulmans n’ont pas cette coutume de porter des fleurs sur les tombes ou d’en entourer le corps du défunt. Nous avons des prières spéciales pour les morts. Elles sont dites par l’imam et ceux qui assistent aux obsèques. Après avoir porté le corps en terre, on met deux pierres pour les hommes sur la terre dont le corps est recouvert, trois pierres pour les femmes. Depuis peu certains posent une pierre tombale où sont inscrits le nom et les dates de naissance et de mort du défunt ; mais ce n’est pas traditionnel. C’est plus facile pour reconnaître à qui appartient une tombe mais auparavant nous n’avions pas besoin de toutes ces indications pour nous repérer : les anciens guidaient les plus jeunes qui transmettaient à leur propres descendants le chemin à suivre et personne ne se trompait. La mère de mon épouse est dans un cimetière en Algérie et, à chaque séjour, nous prenons le chemin qui conduit à sa tombe pour nous y recueillir. Nous le savons par cœur bien que nous ne puissions pas y aller souvent.

Il y a une autre différence entre la façon d’enterrer les morts chez vous et chez nous : nous n’enterrons pas, contrairement à vous, les morts dans un cercueil. Quand quelqu’un meurt en France, on le dépose dans un cercueil pour le transport mais en arrivant là-bas on l’en sort. On creuse un trou en pleine terre et on dispose des pierres plates sur le corps. Certains mettent des branches d’arbre vertes. C’est une manière de dire que la vie continue ; cette coutume se rapproche peut-être de celle des fleurs que vous déposez. Nous connaissons l’emplacement de la tombe des défunts de notre famille mais aussi celui d’autres défunts. Passant devant la tombe d’une personne dont on sait qu’elle a commis le mal, certains s’arrêtent pour prier. La prière, aux dires de certains soufis, allège les souffrances que cette personne mérite.

Y a-t-il une journée particulière dans l’année où tous les musulmans se rendent au cimetière, comme par exemple le 2 novembre chez les chrétiens ?

S.A. Nous n’avons pas de journée particulière consacrée aux défunts. Mais lors de chacune des deux fêtes de l’Aïd, il est traditionnel d’aller au cimetière. Par ailleurs, quand quelqu’un est enterré, il est souvent accompagné de centaines de personnes. Une fois la cérémonie achevée, chacun se rend près de la tombe de ses proches. Pour ma part, je vais près des restes de mon grand-père, de mes oncles et d’un cousin.



Il paraît que les femmes, en islam, n’ont pas le droit d’assister à l’enterrement au cimetière. Est-ce vrai et si oui pourquoi ?

Mohammed Benali : Certains hadiths disent que le rôle des femmes n’est pas d’enterrer. Elles peuvent venir après l’enterrement mais ne peuvent assister à l’ensevelissement proprement dit. Elles doivent demeurer à l’écart. La raison en est que les femmes sont souvent plus sensibles que les hommes et qu’elles extériorisent davantage qu’eux leur souffrance. Elles ne maîtrisent pas toujours leurs émotions ou les expriment très bruyamment ; vous avez sûrement entendu les « you-you » des femmes pour dire leur joie ou leur peine. Or les pleurs sont interdits au moment de la mise en terre. Cela ne veut pas dire qu’on ne souffre pas de la séparation ou qu’on ne peut pas pleurer à un autre moment. Mais au moment de la mise en terre, on doit se soumettre à la volonté de Dieu sans réserve : c’est lui le Maître de la vie et de la mort. C’est lui qui a décidé de l’heure de la mort de chacun. Nous devons le croire même si pour nous c’est extrêmement douloureux ou incompréhensible ou que cela nous paraît injuste. Il faut enlever toutes ces pensées de nos têtes et, si ce n’est pas possible, au moins ne pas les laisser s’exprimer en pleurant ou en poussant des cris. Quand on pleure en enterrant quelqu’un, nous croyons que nos larmes le font souffrir lorsqu’elles manifestent que nous refusons la volonté de Dieu sur lui. L’interdit de participer à une mise en terre porte aussi pour le père ou le frère : il est prudent qu’ils s’écartent si leur souffrance est trop grande et qu’ils ne peuvent pas résister aux larmes.

Quels sont les rites proprement religieux qui accompagnent un défunt ?

M.B. Un musulman, avant d’être enterré, doit être lavé conformément aux prescriptions du rituel. Avant chaque prière, un musulman fait ses ablutions : il se purifie ; le rite mortuaire consiste à faire sur le corps du défunt de petites puis de grandes ablutions, tout comme les vivants le font. Quand on vit dans un pays musulman ces rites font partie de la culture  : tout le monde les connaît. Mais les musulmans qui sont nés ou vivent depuis leur petite enfance en France peuvent être très étrangers à ces rites qu’ils n’ont peut-être jamais pratiqués. A la mosquée de Gennevilliers, nous avons fait venir des « laveurs » envoyés par un service de Pompes funèbres musulmanes pour qu’ils montrent comment on prépare le corps avant un enterrement. L’un prenait la place du mort et les deux autres (il faut être deux) faisaient les ablutions rituelles et habillaient le défunt. Il y avait foule à la mosquée ces jours-là. Comme tout le monde n’a pu être présent, nous avons enregistré cette démonstration. Ceux qui désireraient connaître ces rites, peuvent les trouver sur le site de la mosquée « En Nour » en cliquant sur http://www.mosquee-gennevilliers.com puis dans la page d’accueil sur Videos / Interventions / Démonstration du lavage mortuaire (et) Démonstration de l’enveloppement du corps dans le linceul.

L’accompagnement de la fin de vie

Vous connaissez les débats autour d’un aménagement éventuel de la loi Leonetti. Certains disent que c’est à chaque personne en fin de vie de décider elle-même de mettre fin à ces jours. C’est autre chose que d’apaiser la souffrance quitte à risquer de hâter la mort. Qu’en pensez-vous ?

M.B. Les soins palliatifs sont acceptés par l’islam mais l’euthanasie est totalement interdite. Comme je l’ai dit, pour un musulman, ce n’est pas à l’homme de choisir l’heure de sa mort. S’il le faisait, il se prendrait pour Dieu qui seul est le maître de la vie et de la mort. Soulager la souffrance, c’est tout autre chose que de prétendre décider par soi-même de l’heure de sa propre mort ou de celle d’un proche.

Quant aux soins palliatifs, je trouve qu’ils sont souvent trop réduits au fait d’alléger la souffrance physique. Un musulman se doit de faire aussi un accompagnement spirituel pour préparer ce grand passage. Accompagner quelqu’un qui sait qu’il va mourir redonne espoir. Par des invocations on rappelle au mourant que Dieu est avec lui. On lui rappelle qu’il va renaître dans un autre endroit. Quand la mort approche, famille et amis entourent le mourant pour le soutenir, même à l’hôpital, par la lecture du Coran et par la prière.

Et cet accompagnement ne se termine pas avec la mort. Il continue après. Les voisins s’occupent des repas dans la maison du défunt pour permettre que se maintiennent le recueillement et la prière chez les proches, pour qu’ils puissent aussi accueillir ceux et celles qui viennent présenter leurs condoléances. Enfin, pour alléger le poids des fautes des défunts, amis et voisins nourrissent des pauvres  : le mérite du bienfait profite au défunt. La prière et les actions méritoires de l’entourage aident le défunt à se présenter devant Dieu.

Nous croyons que cette dimension d’accompagnement spirituel est au moins aussi importante que de soulager sa souffrance charnelle avant sa mort. Cela ne fait qu’un pour nous. Le fait aussi qu’un enterrement soit un temps où on se réunit et où on s’entraide permet à ceux qui souffrent du départ d’un proche de ne pas se sentir trop seuls. Ils sont comme « portés » par l’ensemble de la communauté.

J’ai entendu dire par certains musulmans que notre âme quittait le corps quarante jours avant la mort proprement dite.

M.B. Je sais que beaucoup musulmans pensent cela. Pour moi, comme pour la plupart des musulmans, je ne sais pas ce qui se passe quarante jours avant la mort. Je crois seulement que lorsque quelqu’un meurt, deux anges viennent lui poser des questions sur sa vie passée dès qu’il est mis en terre.

La vie après la mort, le ciel et l’enfer

Que se passe-t-il après la mort ?

S.A. Quelqu’un qui est pratiquant est fixé sur son sort. S’il a fait du bien, il en reçoit la récompense ; s’il a péché, il demande pardon. Dieu est juste et miséricordieux mais nous croyons que sa miséricorde est plus grande que sa colère. Le Coran dit : « O vous, serviteurs de Dieu qui avez commis de nombreux péchés, la miséricorde de Dieu est proche !  » Cependant en raison de la justice de Dieu, on peut aller en enfer, en châtiment du mal qu’on a commis. On peut y être condamné pour une période plus ou moins longue mais aucun de ceux qui ont mis leur foi en Allah ne peut y rester pour l’éternité.

Vous parlez du jugement et de la récompense ou du châtiment pour un musulman mais, selon votre foi, qu’en est-il de ceux qui n’ont pas cru en son prophète ?

M.B. Pour être tout à fait franc avec vous, je dois dire que lorsque j’étais plu jeune, je ne rencontrais pas de chrétiens et j’étais sûr que les non-musulmans ne pouvaient pas entrer au ciel parce qu’ils n’ont pas reconnu le vrai Dieu et son Prophète. En fait je ne connaissais personne qui ne soit musulman. Puis je suis arrivé en France et j’ai rencontré des chrétiens ; j’ai vu de quelle générosité et de quelle fraternité ils sont capables. Je me suis dit alors  : « Quel dommage qu’ils ne se convertissent pas… toutes leurs bonnes actions risquent d’être perdues ! ». Maintenant, je dis « Dieu ‘a-alim’ », c’est-à-dire Dieu est plus savant que moi. Seul il peut répondre à la question.

Ce qui est sûr, c’est que Dieu ouvre le Paradis à ceux qui croient au Dieu qu’a fait connaître le Prophète (QSPDSL). Mais il faut encore que ceux qui disent « je crois » fassent des œuvres bonnes. Il ne suffit pas d’être musulman pour entrer au ciel. Il faut encore ce que Jacques Berque appelle « le bel agir » (  «Al ihsan»). Ce « bel agir », je le vois pratiqué chez beaucoup de chrétiens qui respectent ma foi. Ils acceptent de travailler avec des musulmans, de les aider quand ils peuvent sans jamais essayer de les convertir. Je vois bien, depuis si longtemps que je les connais, qu’ils sont sincères et je leur rends hommage. J’ai fait l’expérience de leur amitié et la confiance entre eux et moi est totale. Nous ne serions pas des vrais musulmans si nous méprisions ces chrétiens et leur religion.

S.A. Je n’envisage pas d’être au ciel sans que vous y soyez aussi  ! Ou alors Dieu ne serait pas Dieu !

Comment envisagez-vous le ciel ? Le Coran parle de torrents de laits et de miel, pour vous est-ce une image ?

M.B. Le Coran décrit dans le détail ces jardins de délices ; pour nous ce n’est pas seulement une image. Nous croyons vraiment ce qui en est dit. Nous ne pouvons pas prétendre savoir mieux que le Coran. Mais il faut en comprendre l’esprit  : celui qui pendant sa vie sur terre se sera totalement soumis à la volonté de Dieu, au ciel Dieu se soumettra totalement à sa volonté, à tous ses désirs. Il aura alors tout ce qu’il veut. Par exemple pour moi, mon épouse est la plus belle ! Je n’ai pas d’autre désir que de vivre pour toujours avec elle. Je continuerais à être avec elle au ciel et elle sera encore plus belle qu’aujourd’hui !

Saad Abssi et Mohammed Benali


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