Nous ne connaissons pas le prosélytisme

Cinq femmes de la Caravelle
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Les femmes de La Caravelle liées à l’association Mes Tissages témoignent de ce que le prosélytisme leur apparaît comme une réalité bien lointaine.

Le prosélytisme, qu’est-ce que c’est ? Non seulement nous ne connaissions pas le sens de ce mot mais, quand on nous l’a expliqué, nous avons constaté qu’aucune de nous n’en connait la réalité. Avant de venir habiter à Villeneuve-la-Garenne, l’une d’entre nous a longtemps habité à Clichy, l’autre à Saint Denis, une autre à Gennevilliers. Nous connaissons bien la banlieue Nord de Paris. Nous n’y avons jamais rencontré personne qui cherche à nous convertir à l’islamisme. Personne d’une autre religion non plus n’a cherché à nous convertir. Il ne nous est jamais venu à l’esprit de vouloir convertir quiconque.


Le prosélytisme entre jeunes

À la suite de l’assassinat du professeur d’histoire, Samuel Paty, l’une d’entre nous a entendu – à la télévision – un élève de 6ème de son collège se plaindre du prosélytisme de certains musulmans dans la cour de récréation. Lui-même est athée et dit qu’il doit rester à distance de musulmans intégristes pour ne pas avoir à subir leur violence. Nous ne mettons bien sûr pas en doute les propos de ce jeune. Cependant nous devons dire que nous sommes mères de famille et qu’aucun de nos enfants n’a jamais constaté – ni eu à subir lui-même – ce genre de réactions violentes. Nous ne nions bien sûr pas que, dans notre religion, il y ait des fous qui sont prêts à tuer ceux qu’ils considèrent comme « mécréants », qu’ils soient athées, chrétiens ou de ceux qu’ils appellent de « mauvais musulmans » (dont pour eux nous faisons partie). Nous constatons seulement que nous n’en connaissons aucun, ni nous, ni nos enfants, ni notre famille élargie. Autour de nous, il n’y a pas un seul musulman qui ne dénonce pas fermement ces fanatiques prêts à tuer au nom d’Allah. Nous serions les premières à craindre pour nos enfants, s’il y avait le moindre risque de se laisser prendre à leur prosélytisme. Mais nous n’avons jamais constaté aucun risque pour eux de ce côté-là. Nous n’en entendons parler qu’à la télévision.

Le risque que nous voyons, pour nos enfants, n’est pas de devenir islamistes mais de n’attacher aucune importance à la religion. De quoi parlent-ils entre eux dans la cour de récréation ou à l’extérieur des établissements scolaires ? De religion ? Jamais. Ils se parlent du dernier jeu vidéo, du passage imminent de la Play Station 4 à la 5, des dernières chaussures de marques qu’ont l’un de leurs copains et qu’ils veulent impérativement pour ne pas passer pour des arriérés. Nos enfants sont comme les vôtres, même s’ils sont musulmans ! Certes ils font (encore) le Ramadan, mais en dehors de cela la religion ne fait pas partie de leurs préoccupations. Si on peut parler de prosélytisme les concernant, ce serait celui de la société de consommation.

On entend dire également à la télévision que certains jeunes musulmans font du prosélytisme en classe en refusant l’enseignement que leurs professeurs veulent leur dispenser. Par exemple en SVT, certains prendraient la parole pour contester le fait que les hommes et les femmes viennent du singe. Il est vrai que pour nous, le Coran dit la vérité : il est écrit que Dieu a créé l’homme et la femme à partir d’argile. Mais pour nos enfants, il y a ce qui est dit à l’école et ce qui est dit à la maison. Ce sont deux « mondes » différents dans lesquels ils se situent sans contester l’un ou l’autre. La religion est pour nous, leurs parents, une affaire personnelle entre Dieu et chacun. C’est à eux de se situer personnellement : ce qu’ils apprennent à l’école leur permet de le faire. Au passage, il n’y a pas qu’en France que les professeurs enseignent l’évolution du singe à l’homme, en Tunisie par exemple aussi. Cela n’a jamais empêché personne d’être musulman et seuls des fous – par prosélytisme islamiste – contestent ouvertement cet enseignement. En 6ème, il y a un cours sur les différentes religions. Il est très succinct mais permet quand même de découvrir d’autres religions. Nos enfants nous en parlent mais s’il y avait eu, à cette occasion, la moindre marque de prosélytisme de la part de musulmans ou de chrétiens, ils nous l’auraient dit.

Plusieurs parmi nous ont mis leurs enfants dans des collèges ou des lycées catholiques. Nous l’avons fait à cause du niveau scolaire, supérieur à celui qu’on trouve dans les cités, que l’on trouve dans ces établissements. Cependant nous ne l’aurions pas fait si nous avions soupçonné la moindre trace de prosélytisme chrétien à leur égard. Nous faisons toute confiance à la direction de ces établissements et aux professeurs. Non seulement ils ne cherchent pas à convertir nos enfants, mais ils les respectent profondément. Dans la mesure où nous faisions appel à des catholiques, on aurait pu penser que les cours de catéchisme ou l’assistance à la messe seraient obligatoires. Ce n’est absolument pas le cas. Il n’y a aucun désir de récupération des jeunes. En plus, ce climat de grand respect rejaillit sur les jeunes chrétiens eux-mêmes : non seulement ils accueillent mais aussi ils soutiennent ceux de nos enfants qui, venant d’un établissement scolaire n’ayant pas le même niveau, doutent au départ de leurs capacités à être au même niveau que les autres. En mettant nos enfants dans des établissements catholiques, nous leur avons fait confiance et notre expérience prouve que nous avons eu raison de le faire.


Le prosélytisme entre adultes

En dehors de notre famille, nos principales relations se sont nouées à l’atelier de « Mes tissages » à la Caravelle. Nous y rencontrons des musulmans et des chrétiens mais il ne viendrait à l’esprit de personne de faire du prosélytisme. Nous parlons de tout, y compris de notre religion et nous aimons interroger les chrétiens sur ce qu’ils croient. Nous comparons, nous échangeons. Nous ne pourrions pas le faire si nous sentions que l’autre, lorsqu’il nous parle de sa foi, cherchait à nous convaincre de l’embrasser. Plusieurs « françaises » ont pris l’habitude de venir à l’atelier. Très souvent, elles nous disent que, depuis qu’elles nous connaissent, elles se rendent compte qu’elles avaient des idées toutes faites sur les musulmans et sur la vie dans les cités. La première fois qu’elles participent à nos fêtes – par exemple à l’occasion de l’Aïd – elles sont toutes étonnées de nous voir danser et éclater de rire quand l’une de nous fait une bonne plaisanterie. Elles disent que ce n’est pas le visage qu’on donne de nous à la télévision. Il faut dire qu’au départ Mes-tissages a été fondée par des musulmans et des chrétiens qui n’auraient pas pu travailler ensemble s’ils avaient cherché à se convertir ! Ce serait la mort de notre association islamochrétienne ! On ne voit pas du tout Saad Abssi ou Mohammed Benali essayer de convertir Michel Jondot ou Christine Fontaine ! C’est totalement impensable ! Ils étaient ou demeurent bien trop amis pour ne pas respecter totalement la religion des autres ! Le prosélytisme au sein de notre association n’est même pas envisageable.

Si on cherche bien, on pourrait voir deux situations que l’on pourrait assimiler à du prosélytisme, l’une du côté musulman, l’autre du côté chrétien. Mais pour l’une, on l’a barrée tout de suite, pour l’autre il nous semble que ce n’était pas du prosélytisme. Du côté musulman, pendant un certain temps une musulmane reprenait sans cesse les autres en leur disant ce qu’il fallait faire ou ne pas faire pour être fidèles à l’islam. Selon elle, une bonne musulmane devait s’habiller de telle façon, avoir tel comportement avec les hommes, non seulement ne pas boire mais ne pas toucher une bouteille d’alcool et ainsi de suite. Parmi nous certaines femmes se voilent, d’autres non. Certaines femmes sont habillées à l’occidentale et d’autres portent un habit long. Certaines font la prière régulièrement d’autres non. Pour nous toutes, sauf elle, la religion est d’abord une affaire de cœur, une affaire intérieure et ce qui en paraît à l’extérieur peut très bien être trompeur. Pour nous toutes, sauf elle qui était cependant une amie, la religion nous apprend à respecter les autres, leurs manières de vivre et leurs choix. Nous le lui avons signalé à maintes reprises mais comme elle continuait à essayer de nous convertir à sa propre manière de vivre l’islam, nous lui avons dit que nous voulions bien parler de tout mais pas de religion avec elle. Chaque fois qu’elle essayait quand même, nous nous mettions toutes à parler d’autre chose. Au bout d’un moment, elle n’est plus venue. Voilà pour le seul « prosélytisme » entre musulmans que nous avons connu. Du côté chrétien, ce n’était pas du prosélytisme mais plutôt un comportement qui nous a étonné parce qu’il nous était étranger. Cinq ou six jeunes hommes et jeunes femmes chrétiens sont venus passer une journée avec nous. Nous avions besoin de leurs compétences pour faire connaître la vie de notre atelier à l’extérieur. Ils étaient vraiment très sympathiques et ils nous ont bien aidées. Nous avions préparé un repas et ils ont déjeuné avec nous. À la fin de la journée – alors que Christine était déjà partie – ils nous ont dit : « A la fin d’une journée de travail, nous avons l’habitude de prier. » Et ils ont fait une prière chrétienne devant nous. Ils nous ont demandé ensuite de prier à notre tour et nous avons récité la fatiha. Nous n’avons pas compris. Nous ne faisons jamais cela si bien que nous avons téléphoné à Christine pour qu’elle nous explique ce qui s’était passé. Nous n’avons pas pensé qu’ils faisaient du prosélytisme chrétien mais, comme ni Saad, ni Michel, ni Mohammed, ni Christine n’avaient jamais agi comme eux, nous nous sommes demandé ce que pouvait signifier cette prière pour eux à la fin de la journée. Christine nous a expliqué que ces jeunes appartenaient à un mouvement où on prie souvent entre chrétiens et qui n’ont pas l’habitude de passer une journée avec des musulmanes dans une cité. Ils ont fait avec nous ce qu’ils faisaient entre eux sans se rendre compte que c’était incongru pour nous mais ils n’avaient sûrement aucune arrière-pensée. Non ce n’était pas du prosélytisme et nous leurs sommes profondément reconnaissantes de l’aide qu’ils nous ont apportée.

À l’atelier, nous abordons tous les problèmes librement – ceux de la famille, de l’école, du chômage, etc. – et nous aimons parler aussi de religion entre musulmanes et avec des chrétiens. Nous n’aurions pas l’occasion de le faire sans Mes tissages et nous apprenons beaucoup. Nous savons que, pour les chrétiens comme pour nous, la religion est une affaire de cœur. Nous sommes convaincues que Dieu ne voudrait pas qu’on touche « au cœur » des autres, à ce qu’ils ont de plus précieux. Il n’aimerait pas que nous cherchions à convertir les autres à force d’arguments pour notre propre religion. C’est parce que nous ne pensons même pas à faire du prosélytisme que nous pouvons partager les souffrances et les joies des unes et des autres, que nous pouvons en appeler à la prière des musulmanes et des chrétiennes quand l’une de nous est en difficulté. Nous avons souvent vu que lorsque nous prions Allah chacune du fond du cœur et à notre manière pour une même cause, Il nous écoute ! Il aime bien que nous soyons différents et amis, sans aucun prosélytisme !

Cinq femmes de l’atelier « Mes tissages » à la Caravelle


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