Rencontre du printemps 2018

L'équipe des thés de Gennevilliers (1)

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Les rencontres autour des « Thés de Gennevilliers » font apparaître la souffrance des musulmans de France. Quoi qu’ils disent ou quoi qu’ils fassent, leurs propos et leur comportement sont suspectés.

Rappel : Depuis le début de l'année 2016, autour de la mosquée de Gennevilliers (ville de la banlieue Nord de Paris), un groupe d'une douzaine de personnes se réunit régulièrement. Il est composé d’hommes et de femmes, de musulmans, de chrétiens ou d’agnostiques. Ils ont pour but d’ôter les masques et de tenter de se faire face en vérité. Ils s’efforcent maintenant d’élargir l’horizon en mettant en ligne leurs échanges.

La discussion s’amorce autour de deux faits de vie constatés par une participante dans sa ville :
- Dans les écoles, à la cantine, des enfants refusent d’être à côté de camarades non-musulmans ; ils leur reprochent de manger du porc, les méprisent, les insultent et leur annoncent qu’ils iront brûler en enfer.
- Dans un groupe d’enfants de 6ème (11 ans) : quelques immigrés et un garçon d’origine européenne. Ce dernier reproche aux gouvernants d’obliger les Français à payer pour entretenir les étrangers venant en France. Il les accuse de les laisser entrer. Il a tenu ces propos en présence de ses camarades immigrés sans être conscient qu’eux-mêmes sont d’origine étrangère. On ne devrait surtout pas, dit-il, laisser des réfugiés mendier dans les rues.

Un échange suit l’exposé de ces deux faits : on constate que les enfants reproduisent des propos entendus dans leurs familles tout en déplorant l’absence d’analyse des adultes dont ils sont l’écho. Est-il possible d’aider les enfants à avoir un regard éclairé sur la situation de la société ? Est-il tolérable de laisser les enfants tenir de tels propos sans réagir ?

Une réflexion s’engage dans deux directions :

L’éducation des enfants

D’une part on s’interroge sur l’éducation des enfants. Une catholique dénonce les méfaits d’une catéchèse chrétienne qui a eu parfois des effets culpabilisants et néfastes. Les musulmans sont unanimes pour regretter ces réactions d’enfants musulmans à propos de l’enfer.

Ont-elles leur source dans l’éducation des parents ? Ce serait le signe que, minoritaires dans le pays, les musulmans se crispent sur leur identité ; leur référence à l’enfer signifierait l’importance d’appartenir à l’islam et le grand danger qu’il y aurait à le quitter. Symétriquement, les chrétiens, lorsqu’ils sont minoritaires dans des quartiers où la présence musulmane est majoritaire, se replient, eux aussi, dans une logique identitaire. Comment dépasser ces peurs les uns des autres ?

Toujours est-il qu’à la mosquée En Nour, on insiste beaucoup auprès des enfants, pour parler du comportement. Sur ce point on se garde bien de leur dire que les non-musulmans ont tort mais, au contraire, qu’il faut les respecter. « Vous avez votre religion, nous avons la nôtre  »  : cette remarque du Prophète vaut pour aujourd’hui.

Par ailleurs, cette allusion à l’enfer nous a conduits à nous interroger sur le rapport des croyants à leurs écritures.

Le rapport des croyants à l’Ecriture

C’est d’abord autour des textes parlant de l’enfer que se cristallise la réflexion. Les musulmans font remarquer qu’il est étrange qu’on s’arrête à ceux-ci alors que, dans toutes les sourates, Dieu est présenté comme le Tout-Compatissant et le Tout-miséricordieux. Il est « Celui qui pardonne ».

Un catholique a fait allusion à deux textes pour poser la question du rapport à l’Ecriture. Il s’agit de deux passages de l’Evangile qui ont souvent, dans le passé, alimenté l’angoisse. D’une part, Jésus raconte une parabole qui met en scène un riche vêtu d’habits somptueux et faisant bonne chère et, à sa porte, Lazare, un miséreux couvert d’ulcères et mourant de faim sans qu’il y ait entre eux la moindre communication. La nuit suivante, l’un et l’autre viennent à mourir. Le premier se retrouve dans les flammes de l’enfer et le second près d’Abraham dans le Paradis. Jésus parle d’un « grand abîme » creusé entre eux deux. Il évoque, par ailleurs, le jugement dernier où il apparaîtra que le fait de n’avoir pas nourri ceux qui avaient faim et soif, de n’avoir pas vêtu celui qui avait froid, de n’avoir pas soigné un malade ni visité un prisonnier vouait au feu éternel. A s’en tenir là, il faudrait reconnaître que la condition humaine est désespérante. En réalité, tout le contexte de l’enseignement évangélique laisse entendre que les écarts entre les hommes sont des mises à l’écart de Dieu et que Jésus est venu combler ces écarts en nous invitant à prendre sa suite pour lutter contre toutes les injustices qui divisent l’humanité. Qu’il s’agisse du Coran ou de l’Evangile, ne soyons pas dupes des manières de parler d’une époque.

Le Coran appelle-t-il à la violence ?

Les échanges risquaient de s’écarter du concret de l’existence lorsqu’à propos des Ecritures on en est venu à parler de la sourate 9,29 («  Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et son message interdisent et qui ne professent pas la religion de la vérité parmi ceux qui ont reçu le Livre jusqu’à ce qu’ils versent la capitation après s’être humiliés.  »)

On s’est alors aperçu ce qu’avait de cruel l’insistance des Français à se référer à ce texte. Cette attitude est perçue très douloureusement par les musulmans de France. Ceux-ci, lors de notre rencontre, se seraient peut-être fâchés si les chrétiens n’avaient précisé qu’en abordant cette question, il ne s’agissait pas de mettre qui que ce soit dans l’embarras mais de leur permettre d’exprimer le grand malaise qu’ils éprouvent devant cette critique. Il est vrai, ils n’ont pas manqué de le rappeler, qu’à plusieurs reprises ils ont tenté d’exprimer que ces «  ayats » faisaient allusion à une situation précise de conflit face à laquelle le Prophète se devait de faire face. Il est vrai qu’ils ont fait remarquer que, menacés par les Mecquois qui refusaient d’entendre le message, les premiers musulmans pour échapper à la persécution ont trouvé refuge auprès du Négus, l’empereur d’Ethiopie. Pourquoi ne cite-t-on jamais les paroles du Prophète rendant hommage aux chrétiens dans ce contexte  ? Malgré leur grand amour de la France, les musulmans sont, en réalité, profondément blessés.

Un constat s’est imposé : tout démocratique qu’il prétend être, le pays dans son ensemble ne permet pas aux musulmans de s’exprimer librement. Tenter de s’expliquer sur le jihad c’est se rendre suspect de terrorisme. Regretter les massacres d’enfants à Gaza, c’est faire acte d’antisémitisme. Quand une femme sort la tête voilée, elle est considérée comme victime du machisme musulman. Le climat devient insupportable.

Les musulmans font encore remarquer que les Juifs portent la kippa sans que personne y trouve à redire. Quand ils se réfèrent à la Bible pour justifier l’occupation de la terre des Palestiniens, peu de gens dans un pays laïque comme le nôtre, protestent devant cette manière de se référer à un texte religieux, pour justifier une politique qui fait injure aux Droits de l’Homme et aux droits des peuples.

Les non musulmans présents prennent alors conscience de l’étrange contradiction dans laquelle s’enferment nos contemporains. D’une part ils se moquent du fondamentalisme des musulmans ; on leur reproche de trouver dans le Coran des instructions pour leur conduite d’aujourd’hui  : ablutions, interdits alimentaires, mariage par exemple. En réalité, la lecture des non musulmans n’est-elle pas elle-même fondamentaliste, puisqu’ils prennent à la lettre une phrase du Coran qui n’a plus de sens aujourd’hui. D’autre part, on ne peut pas comprendre ce que signifie le Coran en faisant abstraction de ce qu’il a produit. Sans lui, l’humanité n’aurait pas connu la civilisation brillante où les musulmans ont su inventer une formule originale pour vivre dans la paix avec les chrétiens et les Juifs.

L’affaire du voile islamique

C’est dans ce contexte de référence au Coran qu’a surgi la question du voile et de la laïcité. Le livre saint parle-t-il du voile ou non ? La question n’a pas été tranchée, mais très vite on en est venu à parler du problème de société que cela soulève.

Il est étonnant que ce détail vestimentaire fasse tant de bruit en France. En Angleterre on voit des femmes voilées dans les lieux de travail, dans les écoles, dans les commerces, dans les administrations sans que cela gêne qui que ce soit. Est-ce la laïcité française qui fait obstacle au port d’un signe religieux ? On parle de signes ostentatoires ; pourtant personne n’est gêné quand on voit des religieuses en cornettes. Par ailleurs, on a été choqué en voyant sur les plages des femmes en burkini  ; pourtant on trouve des arrêtés municipaux de 1917 qui décrivent les tenues de bain obligatoires pour les femmes sur les plages  ; ils correspondent à peu près à ces burkinis qui font tant jaser. Il faut préciser que cet arrêté n’a jamais été annulé.

Les musulmans affirment aussi que la liberté des musulmanes est brimée puisqu’on leur interdit de s’habiller comme elles le souhaiteraient. On considère comme une offense le fait d’entendre dire que c’est la soumission au mari, au frère ou au père qui motive le port du voile ; en réalité la femme musulmane revendique le droit de s’habiller librement.

Par ailleurs il se trouve que les musulmans retrouvent la foi et la pratique qui étaient en danger et qu’ils s’efforcent de se soumettre aux exigences de la sharia.

En réalité, le problème est-il celui de la laïcité ? N’est-il pas surtout un problème de sécularisation ? Les comportements se sont libéralisés depuis 1917 et lorsqu’on est témoin de situations inédites, il n’est pas étonnant que l’environnement commence par réagir.

D’autre part le regain de religiosité en islam est-il seulement le signe d’un renouveau de la foi  ? N’est-il pas l’effet de la propagation de l’Arabie Saoudite ?

Mais est-il sûr que les musulmanes sont aussi libres qu’on le dit ? N’y a-t-il pas, dans certains milieux, une pression sociologique ?

Un clivage qui pose problème

Il faut ajouter qu’un chrétien estime que l’islam fait apparaître un «clivage» qui pose problème dans notre société. Le Coran définit les bons (ceux qui sont musulmans) et les méchants (ceux qui ne le sont pas). En réalité, les réactions sur le voile ne sont-elles pas l’écho de la grande crainte des français non musulmans qui, à la lecture des événements internationaux (Daesh) et nationaux (attentats), perçoivent, avec raison ou pas, un désir politique de leur imposer une vérité, une morale, une identité dans laquelle ils ne se reconnaissent pas ? Les chrétiens s’interrogent aussi sur le fait que la femme portant le voile ou l’homme portant la kippa semblent dire que l’appartenance à la religion prime sur l’appartenance à un pays ; ceci peut choquer certains citoyens qui ont l’impression d’être mis à l’écart.

Des lois sur l‘islam

Face à ces réflexions, les musulmans font remarquer qu’ils peuvent comprendre ces réactions. Mais le gouvernement ne prend pas l’islam au sérieux. On estime que celui-ci est incapable de comprendre le problème et d’y porter remède par lui-même. Par exemple, c’est mépriser la seconde religion du pays que de légiférer sans consulter les musulmans qui sont pourtant des citoyens français sur cette question du voile (1). Tous les citoyens mais avant tout les chrétiens devraient entendre la souffrance qu’entraînent ces mesures. Bien que cela n’ait pas été dit dans nos échanges, on ne peut manquer de songer à cette période douloureuse où l’islam d’Algérie était géré par le ministère de l’intérieur français.

En conclusion

Il faut reconnaître que ces échanges ont été parfois difficiles. Tous, musulmans ou chrétiens, nous prenons conscience des souffrances du monde musulman en France malgré le grand désir des croyants de Ennour de respecter la laïcité du pays. Il faut rappeler avec insistance que les propos rapportés au cours de cette rencontre reflètent surtout le climat d’une grande partie du pays ; ils sont loin de refléter les opinions personnelles des participants de la rencontre. Nous pensons pourtant que cette écoute de la société n’était pas inutile ; elle doit conduire les uns et les autres vers une confiance entière et vers l’invention d’une manière de vivre fraternelle.

En revanche, on peut regretter que les musulmans n’aient pas eu l’occasion de se faire davantage l’écho des reproches qu’ils entendent dans leur entourage musulman. Cette rencontre en appelle beaucoup d’autres : «  Nous avons tant de choses à nous dire ! »

L'équipe des thés de Gennevilliers
Calligrphies d'Abdallah Akar


1- Il s’agit de la LOI n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Il ne faut pas la confondre avec la loi votée en 2010, qui, elle, interdit de revêtir en public une tenue dissimulant le visage. Le port du voile en tant que signe religieux n’est interdit qu’au sein de l’école. / Retour au texte

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