Théologie
La Croix, un obstacle !

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La croix est un obstacle entre chrétiens et musulmans.
Nous ne voulons pas l'esquiver.
En exposant la foi des chrétiens Michel Jondot
espère transformer l'obstacle en élément de dialogue.
Il invite ses amis musulmans à écouter les chrétiens,
non pour les approuver mais pour mieux les connaître.

La Croix, une frontière

Nous cherchons le point où le chrétien peut rejoindre le musulman. N'est-ce pas la Croix qui nous sépare ? Le Coran est explicite. La Croix est un leurre ; les juifs s'y seraient laissé prendre. « En réalité, ils ne l'ont pas tué, ils ne l'ont pas crucifié ! » Certes, la croix marque la séparation entre le musulman et le chrétien : une frontière qui nous distingue. En réalité, une frontière unit autant qu'elle sépare. Toujours est-il qu'aux yeux du chrétien elle désigne, aux dires de St Paul, ce point où l'opposition du juif et du païen est dépassée. A y regarder de plus près, elle peut conduire le chrétien à y reconnaître aussi le point où est dépassée l'opposition du chrétien et du musulman. Non pas supprimée, mais dépassée ! En tout cas la Croix permet à la foi chrétienne d'entrer dans ce mouvement de dépossession qui intrigue poètes et artistes.

Il faut relire cet hymne de la toute première liturgie, cité par Paul dans sa lettre aux Philippiens. Les catholiques le reprennent chaque année pour émailler la liturgie lors de la semaine qui conduit à Pâques:

"Lui, de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même,prenant condition d'esclave,et devenant semblable aux hommes.
S'étant comporté comme un homme, obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur une croix !
Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom.
pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers et que toute langue proclame De Jésus-Christ, qu'Il est Seigneur,à la gloire de Dieu le Père."


Chemin de Croix - Oeuvres de Dominique Penloup

Un texte scandaleux>

Ce texte est doublement scandaleux pour une intelligence non chrétienne.
Scandaleux d'abord par la manière d'affirmer l'origine divine d'un homme humilié à l'extrême. Scandaleux ensuite par l'image de Dieu qu'il véhicule. Dieu souffrant ! L'Islam refuse les deux aspects du scandale. Jésus ne peut être associé à Dieu. : idolâtrie disent les musulmans. En revanche, l'Islam considère Jésus comme « ami de Dieu », un « rapproché », disent les mystiques. La souffrance est tellement incompatible avec la souveraineté divine que Dieu ne peut imposer à un « élu » pareille mort et pareille infamie : « Ils ne l'ont pas tué, ils ne l'ont pas crucifié ». « Ceci marque notre séparation », disait le serviteur de Dieu à Moïse dans la Sourate XVIII. Reconnaissons la séparation. La réaction de l'Islam est sage, l'affirmation chrétienne est folle, Paul est le premier à en convenir, mais elle particularise celui qui y adhère.

Il serait vain de justifier l'injustifiable. En revanche il serait malhonnête, dans le dialogue avec l'Islam, de passer sous silence le coeur de l'affirmation chrétienne : Jésus crucifié. C'est de là que nous parlons, de cela que nous devons vivre. Face à l'autre il convient de l'avouer et de tenter de faire saisir une certaine cohérence au sein de l'injustifiable. Le texte aux Philippiens nous y aide.


Jésus, Parole de Dieu

Pour que le musulman comprenne la sensibilité de la foi chrétienne, il convient d'apporter quelques précisions sur le coeur de l'affirmation du baptisé quand il prfesse le mystère de Jésus. Ce que vit le charpentier de Nazareth est assumé par Dieu lui-même. La condition humaine qu'il partage avec nous ne se confond pas avec cette condition divine que le texte lui attribue. En revanche, l'une et l'autre sont inséparables. « Alliance » : ce mot biblique désigne tant bien que mal ce que l'Eglise considère comme un mystère. Dieu parle. Il ne fait qu'un avec sa parole. Celle-ci prend chair en Jésus. Il est la Parole de Dieu au milieu de l'histoire. Jésus « parole de Dieu » L'expression n'est-elle pas dans le Coran ? Pour le chrétien, tout ce qui arrive à l'homme Jésus est assumé par Dieu.

Le point culminant du scandale est celui où surgit la mort du Fils de Marie. Le voici dépossédé, vidé, épuisé, à bout de souffle. La mort lui arrive inévitablement : il partage notre condition humaine. Il touche le fond, le bas fond : le mot « enfer » désigne le comble de l'abaissement, ce qui est « au-dessous de tout ». Comble du comble : l'abaissement n'est pas celui du héros mais, littéralement, de celui qui est assujetti ; l'esclave n'a rien à dire ! Qu'il écoute et se soumette ! Nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert, dit le poète. Souffrir conduit sans doute à guetter celui qui appellera, qui vous sortira de l'abîme. Se connaître conduit peut-être à reconnaître que vivre conduit à sortir de soi pour entrer dans la parole d'un autre.



Un appel redoublé

Jésus connaît la mort ! Puisque ce qu'il éprouve est assumé par Dieu, certains disent « mort de Dieu ! ». Il s'agit là d'une manière de parler dont il ne faut pas être dupe. Il est vrai que la mort de Jésus, dans la cohérence chrétienne, touche Dieu lui-même. En réalité, l'abaissement redoublé laisse entendre le redoublement d'un appel et d'une réponse. Jésus meurt. Reste le lien qui rattache la Parole de Dieu à celui qui la prononce. L'épuisement de Jésus, son essoufflement, son manque à être coïncident avec un appel. Etre appelé consiste à recevoir un Nom. A sa naissance on lui donne le nom de Jésus, souligne l'évangéliste Luc, ami de Paul. A sa mort il reçoit mieux qu'un nom ; Dieu dont il est inséparable lui attribue le titre divin de « Seigneur », « le Nom qui est au-dessus de tout Nom ».



Victoire de la parole sur la mort

Mort de Dieu en Jésus ? Non ! Croisement en Jésus du néant de la mort et de la parole qui fait vivre, victoire de la mort et de la parole qui fait vivre, victoire de la parole sur la mort. Au commencement était le Verbe qui fait jaillir la lumière. Avant le commencement, l'origine, la nuit, la confusion à laquelle la parole s'arrache ouvrant tout grand le chemin de la vie. La croix de Jésus, telle que l'affirme la foi chrétienne, épouse le mouvement de l'Ecriture, ainsi que l'affirme la profession de foi (« secundum scripturas »). En lisant le Coran et l'Apocalypse, on décèle la remontée aux origines qui précédant le commencement est l'indéchiffrable qu'on ne peut saisir. L'origine est hors tout, hors de l'être, avant l'être, avant que ne commence l'être. L'épuisement de Jésus épouse le même mouvement. Il conduit aussi, par-delà le néant, jusqu'à l'opération que désignent les premières lignes de l"Ecriture, l'acte de créer. Il conduit à ce qui succède à l'être, ce qui n'est plus l'être : « il s'anéantit lui-même ». S'anéantir, retourner au « néant » : le nihil d'où, à en croire la théologie, part la création (ex nihilo).



La Croix : une écriture

Le texte de l'Evangile porte la marque de ce lien à l'Ecriture. Pilate fit placarder sur la croix un écriteau. La mention n'est sans doute pas insignifiante puisque l'iconographie a retenu le détail. Les spectateurs protestent devant le sens de ce qui est écrit?
Qu'importe « ce qui est » écrit ? La lettre est visible ; elle est trace non d'un sens mais de ce qui excède ou précède le sens : « ce qui est écrit est écrit ».

L' oeuvre de Dominique PENLOUP, un peintre de nos amis, aide à saisir. Une succession de quinze tableaux - dont quelques uns émaillent ce texte -évoque le chemin de la croix, non seulement le chemin qui traverse l'espace (du prétoire au Calvaire en passant par les rues de Jérusalem !) mais la descente aux enfers, la remontée par-delà les origines- jusqu'à l'acte où sortant de l'indistinction surgit la lumière du commencement. En effet, une quinzième station laisse entendre que le point où « tout est achevé, où « tout est vidé » est le point de jonction entre l'origine et le commencement, le néant et la parole, la mort et la Résurrection. La piété traditionnelle représente ou tente de représenter chacune des quatorze étapes qui jalonnent le parcours. Penloup échappe à la représentation. Quinze surfaces carrées se succèdent dans un mouvement soigneusement rythmé et sur des fonds de couleurs délicatement nuancés. Aucune image : en ce sens le peintre français ressemble à l'artiste musulman qui évite la représentation ! Quelques lignes se croisent et bougent au fil des stations. A la dernière elles se réduisent à un léger signe arithmétique perdu dans une sorte de nuée lumineuse, comme celle dont parle le récit de la Transfiguration. Chaque tableau a une marque facile à déchiffrer : les références à l'Ecriture.

Ecriture : le mot est lâché. Tel est bien le fil d'Ariane qui court jusqu'au terme du chemin. Des traces écrites s'étalent sur chaque surface, illisibles. L'écriture à l'état pur : non pour transmettre un message mais pour indiquer l'inaccessible qui précède le commencement. Ce qui appelle la voix sans que la voix ait rien à prononcer.


Ce qui reste à écrire

Symboliquement, la sortie du tombeau, à en croire l'Evangile, se produit à l'heure même où l'on sort de la nuit, « de grand matin », à la première heure d'un premier jour lorsque commence une semaine nouvelle. Paul y reconnaît un écho des premières lignes de la Genèse : « et la lumière fut ! ». Il parle, en effet, pour désigner cette ouverture du tombeau, de « création nouvelle ». La pierre du tombeau est roulée, la grotte est ouverte. Ouverture d'un temps nouveau. L'Apocalypse dit une alliance nouvelle, celle des noces avec l'Agneau, avec l'innocent mis à mort, crucifié. Les noces chantent le début des temps.
Quand s'achève la sourate 18, la mer devient encre ; la mer dit l'immensité de ce qui reste à écrire. Quand s'achève la vie de Jésus sur la Croix, la parole surgit du tombeau. La croix devient écriture et signe ; elle appelle ; elle promet d'appeler à la vie jusqu'au bout du monde et par-delà les temps, « pour les siècles des siècles », dit la liturgie chrétienne.




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