Un musulman dans la cité
Mohammed Benali
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Mohammed Benali n’est pas seulement le responsable de la Mosquée Ennour ; il est aussi père de quatre enfants et citoyen inscrit sur les listes électorales de sa ville. La laïcité est pour lui le moyen de vivre ensemble dans la justice.


La laïcité, religion de l’Etat ?

La laïcité que je vis avec mes enfants et tout mon entourage, gère ma vie au quotidien ; elle est une réalité qui permet qu’on vive dans la justice. En parlant avec le Rabbin, le Pasteur de Gennevilliers, le Curé et le Maire on s’est posé la question : « Qu’est-ce que la laïcité  ?  » La réponse du Maire était : « La laïcité est la neutralité de l’Etat ».

Pour moi, la laïcité est un ensemble de règles qui gèrent « le vivre ensemble » et permettent le respect mutuel. La laïcité est comme un arbitre. La France est comme un terrain où chacun est joueur. Quand quelqu’un ne respecte pas les règles du jeu, il doit être sanctionné : c’est le rôle de la laïcité.

J’entends les gens dire : « La laïcité est la religion de l’Etat. » Rajouter une religion à celles qui existent déjà est, à mes yeux, une vision fausse. Un citoyen ne peut pas avoir deux religions. Un musulman ne peut pas dire : « moi qui suis musulman, j’ai aussi une deuxième religion qui s’appelle « laïcité ». La laïcité ne m’empêche pas de dire que je suis musulman. Elle est une chance pour ma religion.

Je pense aussi que ma religion peut apporter un « plus » pour ce pays. En tant que musulman, je pratique ma religion, je suis épanoui, j’ai le droit de construire des mosquées, j’ai le droit, si je veux, d’envoyer mes enfants dans une école privée – musulmane ou non. La laïcité me garantit le droit de sauvegarder mon identité musulmane : elle s’encadre parmi les valeurs de la République. Dans le respect de ces valeurs.

J’insiste pour refuser de considérer la laïcité comme une religion. J’en reviens à mon exemple : pour vivre ensemble on a besoin d’un arbitre. Or, on doit choisir. Si la laïcité est une religion, je suis obligé de choisir entre elle et l’islam ; ce qui est impossible.


Face aux exigences de la laïcité

Je peux prendre la défense des valeurs de la laïcité. On nous a toujours appris que la laïcité est l’ennemie de la religion ; mais cette affirmation est fausse. On peut être musulman pratiquant. Dans une société multiculturelle comme la nôtre, un musulman peut respecter les exigences de la laïcité. Chaque pays a une manière de faire vivre ensemble ses citoyens. La France a choisi ses valeurs que je trouve justes. Si un jour je les vois menacées, je les défendrai.

Devant les interdits concernant le voile ou devant des lois permissives heurtant la morale islamique je peux être choqué. C’est pour cela que je considère que la laïcité est un arbitre qui fait respecter les règles du jeu. Celui qui n’aime pas ces règles du jeu, qu’il en cherche d’autres ! Du moment que la laïcité autorise certaines personnes à avorter, je n’ai pas à en conclure qu’une femme musulmane doive avorter. La laïcité accorde des libertés et la liberté ne me choque pas. En ce qui concerne le voile, ce n’est pas la laïcité qui est en cause. On touche là à une liberté. Je peux ne pas être d’accord avec la loi. Si elle passe, je la considère comme injuste. Mais je l’accepte parce que c’est le représentant du peuple élu démocratiquement qui a choisi délibérément ce modèle. Donc je respecte la loi mais je garde le droit de ne pas être d’accord avec une loi que pourtant je respecte.

J’aimerais apporter quelques précisions sur le mariage des homosexuels. Bien sûr, nous, musulmans, n’étions pas d’accord. Beaucoup des fidèles, individuellement, qui pratiquent à Gennevilliers ont participé aux manifs. La communauté, en tant que telle, n’a pas pris position. Mais j’en reviens à l’exemple de l’arbitre. Un arbitre peut se tromper et prendre des décisions injustes. Mais c’est un arbitre. Le joueur doit respecter sa décision et continuer à jouer. Il a la possibilité de dire son désaccord mais il continue la partie.

A la mosquée, on a, bien sûr, parlé du sujet, exprimer notre désaccord. On respecte les homosexuels. Mais ils n’ont pas besoin de « mariage  ». Pour nous le mariage est sacré quand il est orienté vers la fondation d’une famille. Chaque enfant a le droit de dire « Papa  » et « maman ». Chaque enfant a le droit d’avoir une maman. La famille doit rester hétérosexuelle. Nous avons dit notre position.


La laïcité, une religion ?

En ce qui concerne la façon de s’habiller dans la rue, je pense aux affaires du voile, il ne s’agit pas d’une expression religieuse. Il faut faire une différence entre un comportement (le choix d’un vêtement) et le prosélytisme. Quand une femme met sur sa tête un m² de tissu ou choisit une robe plus longue (parce que maintenant on commence à parler des « jupes religieuses » quand elles touchent les chaussures), on dit que c’est ostentatoire. Ce n’est pas juste. Laissons aux femmes le droit de s’habiller comme elles l’entendent. Le vêtement est un choix personnel. Un homme ou une femme doivent pouvoir choisir leur façon de s’habiller. Mettre un chapeau ou une kippa est un droit reconnu à chacun. Les français qui commentent ces petits problèmes de vêtement exagèrent. Ne laissons pas ces petits problèmes insignifiants envahir le champ de la réflexion. Parlons clair et net et allons de l’avant, échappons aux questions mesquines et construisons un monde fraternel ! Ces questions n’ont rien à voir avec la laïcité, quoi qu’en pensent ceux qui en parlent. Prendre des détails à ce point au sérieux revient à transformer la laïcité en religion qui multiplie les interdits. Même la laïcité de l’Etat n’impose pas la laïcité de l’individu. Si une personne veut s’habiller de manière ostentatoire dans la rue, sans bien sûr faire du prosélytisme, elle est dans son droit. Il faut rappeler la personne à l’ordre quand elle commence à faire du prosélytisme. Est-ce qu’un personne est obligée d’être vêtue de façon totalement « laïque », sans croix au cou, sans col romain, sans kippa sur la tête ? Chaque citoyen est un mélange : laïc et chrétien, laïc et juif, laïc et athée. Personne ne lui dit : « Tu ne dois manifester que ta laïcité ! »


L’islam devant les personnalités officielles

A propos des relations avec des personnalités officielles, je constate des contradictions chez certains ministres. Quand ils vont dans les synagogues, ils portent des kippas !

Ici, à la mosquée de Gennevilliers, la personne chargée des relations avec les religions, adjointe au maire, est venue avec un voile dans son sac. Elle l’a mis sur la tête en entrant dans la salle de prière. Je lui ai dit qu’elle n’était pas obligée. L’élue qui la précédait entrait sans son voile. « Je tiens à vous dire mon respect », m’a-t-elle répondu.

Dans une réunion hors de la mosquée, un non-musulman m’a demandé pourquoi la Maire- Adjointe était entrée avec un voile. J’ai répondu à ce Monsieur : « Pourquoi n’allez-vous pas reprocher à tel ou tel ministre de mettre une kippa dans la synagogue ? Quand on a organisé la rencontre dans la mosquée en 2010, on a abordé le problème et décidé de laisser le choix. On a offert un voile neuf à toutes les femmes musulmanes qui se présenteraient. Libre à elles de le mettre sur la tête, autour du cou ou dans leur sac.

Des mamans musulmanes viennent sans voile ni vêtement particulier, amenant le dimanche leurs enfants pour les cours d’arabe. Laissons les gens s’habiller comme ils veulent. C’est cela la laïcité : en voile dans les rues, si elles le désirent, la tête découverte éventuellement dans la mosquée.

Tout cela pour expliquer ma question ; la laïcité de l’Etat s’impose-t-elle au citoyen ? On est en train d’inventer une religion qui s’appellerait laïcité. On ne pourrait plus être laïc et musulman ! La Laïcité serait la religion de l’Etat s’imposant à tous les citoyens.


Arrêter l’immigration musulmane ?

Un grand nombre de Français demandent qu’on arrête l’immigration des personnes venant de pays arabes. Les migrants, disent-ils, viennent pour islamiser le pays. Ils feront disparaître la laïcité pour la remplacer par leur religion.

Saâd Abssi m’a dit avoir découvert le mot « laïc »pour la première fois dans un journal maghrébin, en Algérie (L’Egalité). L’article disait « Dieu est laïc ». Il n’impose rien à personne : « Il n’y a pas de contrainte dans la religion : tu crois ou tu ne crois pas ; tu es libre. Nous n’avons pas à craindre leurs pratiques. Elles sont diverses.

Certains musulmans ne respectent qu’un seul interdit touchant la nourriture : le porc. Ils disent qu’on doit considérer les gens d’ici comme des chrétiens ; comme on est autorisé à manger la viande des gens du livre, on n’a pas à se préoccuper de savoir comment la bête a été tuée.

En tout cas il n’y a aucun projet d’islamiser la société. L’islam de France n’en a pas les moyens Il est vrai que l’islam est plus apparent que le christianisme. Les musulmans vont cinq fois à la mosquée par jour. La fête du mouton les rend visibles. Dans la majorité des cas, ils portent un grand respect pour les autres religions. L’islam n’est lui-même pas organisé ; comment élaborerait-il un projet englobant l’ensemble du pays ? Je comprends la crainte à laquelle vous faites allusion, quand je prends conscience que l’islam est plus visible qu’autrefois. Il y a trente ans, il n’y avait pas de mosquée. Les salles de prières étaient cachées dans les sous-sols. On a la chance, désormais, d’avoir des mosquées dans chaque ville. Les enfants musulmans nés en France pratiquent davantage que leurs parents.

Mais oui, c’est vrai : on a peur de l’islam maintenant parce que maintenant on le voit davantage. Oui ! L’islamophobie grandit. Même au sein des partis politiques. Au sein de l’UMP, une grande partie est en train de se radicaliser. On y prononce des propos inadmissibles.

Christine a écrit un beau texte au lendemain des événements de janvier. Elle sait entendre les angoisses des femmes de La Caravelle. Elles sont humiliées, rejetées, ignorées, c’est vrai. Elles le disent. Je suis d’accord avec la façon de Christine de se faire porte-parole de ces personnes qu’elle côtoie. Je lui dis merci. C’est la laïcité, je le dis au passage, qui lui donne le droit de parler impunément comme elle fait  ! Mais Christine est française de naissance. Nous, musulmans immigrés, nous devons parler de façon plus modérée et choisir les mots. Je suis d’accord avec cette façon de parler et je dis « bravo » ! Je suis tout-à-fait d’accord avec ce que dit Christine : c’est la vérité. Mais faire entendre que les migrants veulent islamiser le pays est une folie. Dénonçons cette folie. La laïcité française nous suffit.

Mohammed Benali


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