Un regard sur l'amitié et l'amour en islam
Saied Jazari Mamoei
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Amitié et amour : deux mots qu’on trouve dans toutes les civilisations. A en croire Saed Jazari Mamoei, pour les musulmans « ils constituent le noeud de la relation entre Dieu et sa création ».


La religion, source de l'amitié et de l'amour

Dans les sources fondamentales de l’Islam comme pour les théologiens musulmans, la religion est la source de l’amitié et l’amour. La création avec son domaine vaste, immense et mystérieux, se présente comme le foyer de l’apparition de cet amour.

Si Dieu a donné naissance à ses créatures, c’est d’abord pour manifester son amour : « J’étais un trésor caché et j’ai aimé à être connu. Alors j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles » (1). Selon cette parole d’Ibn Arabi, mystique et théologien andalou du XIIIème siècle, Dieu veut être connu et aimé dans le monde. « Dieu a créé le monde selon Sa forme. Ce monde fut donc un miroir dans lequel Il contemple Son image. Quand on dit que Dieu aime Ses créatures, cela signifie qu’Il n’a aimé, en réalité, que Lui-même » (2).

L’amitié et l’amour constituent le nœud de la relation entre la divinité et la création. C’est pourquoi la bénédiction et la grâce de Dieu dépendent de cette amitié. Ghazâlî, théologien mystique mort en 1111, rapport le hadîth suivant : Dieu dit : « Les gens qui m’aiment sont mes élus. Si ils n’existaient pas, jamais je ne porterais mon regard sur la terre » (3).

Cette amitié n’est pas uniquement dans un sens, elle est réciproque : « Parmi mes serviteurs il y en a qui m’aiment et que j’aime. Qui soupirent après moi et après lesquels soupire ; qui gardent mon souvenir et dont je garde le souvenir ; qui regardent vers moi et vers qui je regarde. Suis leur exemple et je t’aimerai. Mais si tu t’en écartes, je t’écarterai » (4).

Dans une tradition Dieu dit : « O Mon serviteur ! Votre droit est que Je t’aime. Donc, sois Mon ami pour respecter Mon droit » (5).La première bénédiction ou grâce de Dieu (ni’mat) donnée aux hommes est le fruit de cet amour.

« Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour-là, sur les délices » (Cor 102,8).Ce verset est important, il rappelle la responsabilité de l’homme à l’égard de tout ce qu’il reçoit comme bénédictions. Le terme na’îm se traduit en français par « délices » ; c’est ce dont l’homme jouit et dont il se délecte, comme l’amour, la santé, la sécurité, les nourritures et les boissons, etc. Dans certaines exégèses coraniques, ce terme na’îm se rapporte explicitement à l’amour et l’amitié offerts aux hommes.

Une autre expression coranique qui signifie l’amour est le terme mawadda (l’affection ; l’amour et l’amitié profonde). C’est un principe important pour monter le lien entre l’amour divin et l’amour au sein d’une famille. « Et parmi Ses signes ; Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent » (6).

La place de l’amour est également soulignée dans la littérature coranique par le terme qui revient sans cesse de miséricorde (rahmat) : Mawadda renvoie à l’amour absolu dans lequel se fonde l’amour du couple tandis que la rahmat exprime le fruit de cet amour au sein du couple, source du pardon mutuel durant la vie conjugale. Autrement dit, la vie commence par l’amour et se continue par rahmat.

L’amour humain prend racine dans l’amour divin. Dieu a aimé l’homme avant que ce dernier prenne naissance. Le verset coranique dit que Dieu aime ses serviteurs et que ceux-ci l’aiment en retour. «  Dieu va faire venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime » (7).En vérité, la foi est essentiellement fondée sur l’amour et l’amitié : l’amour en Dieu et pour Dieu. Cet amour oblige l’homme à suivre Son Seigneur et à se soumettre devant Lui. Cet amour est comme une source profonde abreuvant la terre et lui permettant ainsi de porter plus de fruits. « Or les croyants sont les plus ardents en l’amour de Dieu  » (8). Ja’far al-Sadiq (24 avril 702 – 15 décembre 765), le petit-fils du Prophète dit que les adorants sont en trois catégories  : ceux qui adorent Dieu à cause de la peur qu’ils en ont, adorent comme des esclaves. Ceux qui l’adorent en cherchant à obtenir une récompense, l’adorent comme des commerçants. La troisième catégorie se compose de ceux qui adorent Dieu parce qu’ils l’aiment. C’est l’adoration des libres. Ce sont les meilleurs amis de Dieu.

Il raconte aussi qu’un jour Jésus-Christ a rencontré un groupe d’adorants qui avaient un corps maigre et une couleur changée (à force d’adorations), il leur a demandé la raison de leur état. Ils lui ont répondu qu’ils adorent leur Seigneur à cause de la crainte de l’enfer. Il leur a dit que c’est à Dieu d’assurer la sécurité et la tranquillité de ceux qui ont la crainte de l’enfer.

Ensuite il a rencontré un autre groupe d’adorants qui avaient un corps encore plus maigre que le premier groupe et il leur a demandé ce qui leur était arrivé. Ils lui ont dit qu’ils avaient le désir du paradis. Jésus leur a dit que c’est à Dieu de leur rendre ce qu’ils souhaitent.

Enfin il a rencontré un troisième groupe qui avaient un visage brillant et lumineux avec des corps encore plus mince et une couleur changée. Il leur a demandé ce qui leur était arrivé. Ils lui ont simplement dit qu’ils aiment leur Seigneur et l’adorent. Jésus leur a répondu qu’ils étaient les proches et les amis de Dieu.

Cet amour est le pilier de la prophétie et la grande force des messagers de Dieu qui les aident dans leurs voies sacrées pour guider les peuples. C’est grâce à cette amitié et à cet amour qu’ils peuvent guider les fidèles, pardonner aux autres et sauver leurs péchés. C’est pour cette raison que Muhammad, messager de Dieu, a demandé dans sa prière : « O Dieu! Je demande Ton amour, l’amour de ceux qui T’aime, et des actes qui me permettront d’atteindre Ton amour. O Dieu! Rends mon amour pour Toi plus précieux (à mes yeux) que moi-même, ma famille … ».

Cet amour et cette amitié donnent des différents fruits.



L’amitié de Dieu et le rapprochement vers Lui

Devenir l’ami de Dieu est la plus haute étape pour un croyant. C’est en franchissant cette étape qu’il atteint à la connaissance des attributs de son Ami, qui est un haut degré dans la foi musulmane. Celui qui arrive à ce niveau, devient comme les saints et possède la capacité d’avoir des kiramat (grâce de faire des miracles) et il peut invoquer les puissances surnaturelles. L’histoire de la pensée mystique des musulmans est pleine des gens qui ont ainsi pu communiquer avec les bons esprits. Cela est déjà confirmé dans les sources de hadiths.

« Mon serviteur ne s’approche de Moi par rien de plus excellent que ce que Je lui ai mis à charge comme œuvres obligatoires. Et mon serviteur ne s’approche de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime, et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il perçoit, sa main par laquelle il saisit, et son pied avec lequel il marche. S’il me demande, Je lui accorderai certainement ce qu’il demande, et s’il cherche refuge en Moi, Je lui accorderai certainement Ma protection. »

L’amitié avec des amis de Dieu et avec Ses créatures

Selon les hadiths, l’amour divin se présente dans l’amour des créatures de Dieu. « Ceux qui n’aiment pas leurs frères, leurs sœurs d’Adam, et tous ceux qui sont les signes de Dieu, ne profitent pas de l’amour divin. »

Dans la pensée islamique, l’amitié et l’amour entre les croyants sont les sources spirituelles, sacrées et les bénédictions saintes, qui donnent un sens vivant et brillant à la société humaine, où l’homme peut alors vivre dans la tranquillité et le respect réciproque.

Le messager de Dieu dit : « L’amitié entre les deux croyants est une branche de foi… » (9).
Ja’far al-Sadiq (702–765) dit : « Si un jour vous accompagnez un juif, soyez gentil avec lui… » (10).

Abu al-Haasan ‘Ali ibn Abi Talib (v. 600 - 661) raconte que le messager de Dieu visitait son ami juif au Médine (11). Lui-même, comme quatrième calife, exprime dans son discours donné à ces disciples de Koufa (12) : « J’ai reçu une nouvelle qui dit qu’un homme de Shâm (la Syrie actuelle) a volé un bijou d’une femme non musulmane et que celle-ci n’a rien pu faire d’autre pour se défendre que de pleurer ! Si un musulman meurt après avoir causé cet évènement douloureux, c’est mérité. Pour moi Il est préférable qu’un musulman meure (plutôt que de laisser les agresseurs faire une telle action sans réagir)…  » (13). Cela signifie que dans une telle situation, il est obligatoire de réagir pour défendre et sauver cette femme et que pour celui qui ne le fait pas, la mort vaut mieux que la vie puisqu’il ne pense pas à l’autre et ne respecte pas la responsabilité humaine.

Ali Zayn al-Âbidîn (658 -713), commentant le droit des gens du Livre, rappelle : « Le droit des gens du Livre est que vous acceptiez ce que Dieu accepte d’eux… » (14). Cela signifie qu’il faut respecter leurs cultes ; leurs croyances, leurs rites et leur foi ; tout ce qu’ils considèrent comme appartenant à leur religion.

Selon les recueils des hadiths, le Prophète de l’Islam avait des amis juifs et chrétiens. Leur amitié était basée sur l’unicité.

« Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens.» C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil » (15). Ce verset se comprend par le fait que des chrétiens (les prêtres et les moines) ont témoigné leur amour de Dieu lorsqu’ils ont créé un lien amical avec les nouveaux disciples de Mohammad lorsque ceux-ci ont émigré en Éthiopie pour fuir la persécution mecquoise dans les toutes premières années de la révélation.

A propos des non croyants et des athées, ils ont eux aussi leurs droits selon la jurisprudence religieuse islamique. La responsabilité des croyants est de les respecter et même de leur rendre la vie facile en assurant la paix et le calme. Malheureusement, cette règle juridico-théologique n’est pas toujours exercée dans toutes les écoles islamiques.

En général, selon les sources de la loi islamique, les musulmans n’ont jamais le droit de déranger ou de ne pas respecter les communautés de ceux qui ne croient pas en Dieu. Une tradition prophétique raconte que Muhammad interdit à un compagnon qui proposait d’empoisonner des associateurs de le faire. Abu al-Hasan Ali ibn Abi Talib (v. 600 - 661) a dit : « Le Prophète a interdit de mettre du poison dans les villes des associateurs » (16).

La sécurité, la santé et tous ce qui est nécessaire pour la vie normale sont autorisée pour eux et c’est au gouvernement d’y veiller. Par contre, les associateurs n’ont pas jamais le droit d’encourager les autres contre le monothéisme, etc.


La crainte et l’Espoir (al-khawf et al-rajâ’)

Al-khawf se traduit par « crainte » et al-rajâ’ se traduit par «  espoir  ». Ce sont deux caractéristiques morales et spirituels qui doivent continuellement animer et accompagner l’homme de Dieu dans l’adoration qu’il voue à son Seigneur. Dans le cœur du croyant, la crainte et l’espoir sont deux piliers inséparables. Tels deux ailes, ils portent l’aspirant dans son effort d’élévation pour se rapprocher de Dieu et se confondre dans Son amitié. Celui qui aime Son Seigneur, jouit dans sa vie du sentiment sacré et divin grâce à cette amitié. Ce sentiment, comme l’état de sainteté dont il bénéfice, lui donne un espoir enraciné dans l’ amour en Dieu et il se sent proche de cet Amour.

L’espoir, al- rajâ’, lui offre une lumière par laquelle il peut passer de ce monde-ci au monde de sainteté. Cela lui permet de se sauver de la punition des péchés, mais aussi de pouvoir intervenir en faveur des autres (intercession). Il est pris, d’un côté, par la crainte de perdre cet état sacré à cause de ses péchés mais, de l’autre côté, il espère, grâce à l’amitié qu’il entretient avec Dieu, devenir l’homme parfait et l’ami de Seigneur ; celui qui possède le degré des saints ou de ceux qui ont la capacité de kirâmat (le pouvoir de faire des miracles). En effet, selon les hadiths, Dieu favorise le kirâmat pour ses amis. Donc, ici-bas, l’homme rempli de l’amour et de l’amitié, ressemble à un oiseaux qui traverse le ciel grâce à ses deux ailes : celle de la crainte et celle de l’espoir. Il faut toujours que le cœur de cet homme balance entre les deux. Sinon, il ne peut pas voler correctement.

Pour ceux qui s’enracinent dans cette amitié, les maladies, les souffrances et les difficultés deviennent un signe de progression de la part de leur Ami. Mohammad al-Baqir (676-743), membre de la famille du messager de Dieu a dit : « Quand Dieu aime son ami, et que son ami a péché, Dieu l’a rendu malade ou l’a rendu pauvre. Dans cet état cette personne insiste sur la prière, implore Dieu, et compte sur le médiation de son amitié avec son Seigneur pour cheminer. Pour lui, la souffrance est portée par la volonté de l’Ami. Mais pour ceux qui n’en bénéficient pas et ne croient pas à l’amour en Dieu, la pauvreté et la maladie deviennent des difficultés matérielles qui accentuent la souffrance. Ainsi que pour certains croyants des religions exotériques, ce sont des punitions ou des sanctions issues des péchés. » C’est ainsi que Bâbâ Tâher Hamadâni (905 - 989), le poète musulman dit :

Heureux soit le cœur qui connaît la peine
Malheureux celui qui n’a pas la sienne
Au pays de l’amour, la monnaie en cours
Porte l’effigie d’un roi, le chagrin est sa reine

Le messager de Dieu raconte : « Il existe trois choses qui, une fois acquises, donneront du goût à votre foi : un amour pour Dieu et le Prophète qui est supérieur à l’amour de toute autre chose, un amour pour les gens qui procède d’un amour exclusif pour Dieu et le fait de détester l’apostasie comme on détesterait être jeté en enfer. »

Saeid Jazari Mamoei
Professeur de l’Université des religions, Enseignant à l’Institut Catholique de Paris

Article publié par le Service national pour les relations avec les musulmans / CEF dans EN DIALOGUE, n°4, juin-septembre 2017 p.39-43


1- Muhyi-d-dîn Abu Bakr Mohamma Ibn ‘Arabî, Al-Futûhât al-Makkiya (ou Illuminations mecquoises, ou Les Conquêtes mecquoises, II, p. 322, chap. 178, Par-delà le miroir, Paris, Entrelacs, 2012, « Hikma », trad. Abdallah Penot. 250 p
2- Ibid
3- Abû Hâmid AL-GHAZÂLÎ, Revivification des sciences de la religion (Ahya’ Ulum al-din), trad. Antoine Moussali, Alger, Entreprise nationale du livre, 1985, page 98-190
4- Ibid
5- Ibid
6- Cor 30 Les romains, 21
7- Cor 5, la table, 54
8- Cor 2, La vache : 165
9- Abu Mohammed al-Hasan bin Ali bin al-Husain bin Shu’ba al-Harrani,(mort avant 991) Tuhaf al-Uqul, page 40
10- Al-Shaykh al-Saduq (923-991), Man la yahduruhu al-Faqih, 4 volumes, page 404
11- Muhammad ibn ash’ath kufi (vivant avan 920) , Al-ja’faryyât, page 159
12- C’est une ville d’Irak à 10 km au Nord-est de Nadjaf ; située sur les rives du fleuve Euphrate. Lorsque Ali est devenu calife, il a déplacé son quartier général à Koufa pendant qu’il se préparait à la bataille avec Mu`âwîya qui menait une révolte à partir de la Syrie. Ali fit creuser un puits dans la ville (656).
Ali a été tué à Koufa (661), et enterré dans la ville voisine de Nadjaf.
13- Abu al-Hasan Ali ibn Abi Talib, Nahj al-Balagha (Voie de l’éloquence), discours 27
14- Al-Shaykh al-Saduq (923-991), Man la yahduruhu al-Faqih, 2 volumes, page 625
15- Cor 5 la Table, 82
16- Abi Jumhur al-Asa’i (mort en 1498 ), ‘awâli al-lu’âî, III volume, page 186

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