Débat
animé par Ahmed Naït Balk
Fidélité et ouverture
Premier débat


Comment vivre ensemble ?
2ème débat


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Fidélité et ouverture
Premier débat

En s'appuyant sur leurs propos, Ahmed Naït Balk a prié les deux intervenants
de préciser comment faire advenir une cohabitation fraternelle
respectant à la fois les particularités des partenaires et l'esprit laïque républicain du pays. Tareq Oubrou souligne la nécessité pour les musulmans d'être fidèles
à la culture du pays où ils s'enracinent.
Christian Delorme invite chrétiens et musulmans à réfléchir sur la façon de concilier
leurs traditions et l'ouverture sur ce qui les dépasse.


Réponse de Tareq Oubrou

Pour moi, en tant que musulman, je ne conçois pas une religiosité qui ne prend pas en considération son identité française: la laïcité et la catholicité. Je dirais même la catholicité tout simplement. « Catho-laïcité », plutôt. Parce que la laïcité française n'est pas une sécularisation absolue mais une sécularisation à dominante culturelle catholique. Nous sommes restés, en France, dans une culture malgré tout chrétienne en général et particulièrement catholique. Nous ne sommes pas dans l'universel de l'indistinction mais dans un universel spécifique. Il faut en être conscient. Les musulmans ne peuvent pas débarquer comme cela et dire voilà on est là ! Non, il y a une histoire. Il y a eu des guerres ; il y a eu deux France : la France laïque et la France catholique. L'islam doit négocier sa visibilité, sa présence, sans choquer les « laïcs-laïcs » et sans réveiller les démons chez les catholiques. Parce qu'on risque d'augmenter l'intégrisme chez les catholiques également. Une visibilité agressive non comprise peut susciter l'intégrisme chez l'autre. On arrive à doper l'intégrisme laïque avec des lois négatives d'exclusion et on est entré presque dans la deuxième phase : celle de chatouiller une partie des chrétiens qui sont pris par la crispation religieuse. Donc nous sommes en train de doper la crispation. Mais nous ne sommes pas conscients de cela en tant que musulmans, sauf quelques rares théologiens avisés.

La visibilité oui, mais attention. Il ne faut pas se tromper de monde ; quand on le fait, on se trompe de religiosité. Effectivement, moi je parle d'une visibilité proximale, d'un islam proximal dont la visibilité s'inscrit dans le même socle culturel que celui des autres citoyens pour pouvoir communiquer avec eux. Moralement je dois faire l'effort de communiquer avec l'autre même si l'autre ne veut pas communiquer avec moi. Religieusement, en tant que musulman, je dois faire le pas vers l'autre. Je dois négocier ma présence avec l'autre. Il ne s'agit pas de parler au nom de la liberté parce que la liberté en France n'est pas celle que connaissent les pays anglo-saxons. Je rencontre beaucoup de jeunes musulmans qui me disent : « En France on parle de liberté des femmes, alors qu'elles sont presque nues. Et quand une femme choisit de mettre la burqa on dit qu'elles ne sont pas libres. Il y a une seule liberté celle que les Français choisissent. » Non, il n'y a pas qu'une seule liberté. Chaque culture définit sa liberté. La liberté en France est une liberté conquise, arrachée, comme une émancipation de la religion. Elle est chargée de cette signification. On conçoit la liberté ici comme sortie de l'emprise du dogmatisme religieux pour vivre l'immanence de la raison. Chez les Américains, la liberté est d'abord la liberté religieuse : les protestants ont fui l'Europe pour vivre leur religion là-bas. La conception de la liberté n'est pas du tout la même. Donc nous avons le devoir en tant que musulmans - surtout les théologiens musulmans - d'intégrer cette connotation, cette perception, pour considérer notre visibilité dans cette société à la fois laïque mais également de tradition et de culture catholique.


Réponse de Christian Delorme

Le plus important, en ce moment, n'est pas ce que nous disons à cette table mais votre présence. Je me disais : j'espère que cela va beaucoup circuler à travers les mosquées de France et à travers les paroisses catholiques. En effet, il n'est pas si évident pour beaucoup de chrétiens de rentrer dans une mosquée. Certains ont peur qu'il leur arrive quelque chose. D'autres pensent que c'est peut-être interdit par la religion. Inversement, je pense qu'il n'est pas aussi évident que cela pour des musulmans de se dire qu'ils vont faire entrer dans la salle de prière au moins 400 chrétiens et 400 musulmans, et même d'autres qui appartiennent à d'autres religions ou d'autres conceptions philosophiques ; ce doit être, a vue d'Sil, le nombre de notre assemblée aujourd'hui.

Je crois qu'il y a de vraies questions, dans notre société, de séparation des uns par rapport aux autres. L'avantage qu'on a de vieillir, c'est qu'on a un passé quel qu'il soit. Moi, par exemple, j'ai vu pendant des années, quand j'étais jeune homme, jeune prêtre, des familles musulmanes qui n'hésitaient pas à entrer dans une église. Elles ne venaient pas se convertir pour autant. Quand j'ai été ordonné prêtre, en 1978, il y avait bien un quart de l'assemblée constituée d'amis musulmans. Au long des années, j'ai vu des musulmans venir aux funérailles de leurs voisins. C'est quelque chose que je vois de moins en moins. Pourquoi ? Pour diverses raisons peut-être : un souci de plus grande rigueur religieuse, peut-être aussi parce que des courants ont d'autres appréciations. Il y a aussi des musulmans qui n'osent pas entrer dans une église ; ils pensent que ce serait pécher. Quand ils me posent la question, je leur réponds : ce que je sais en tout cas c'est que l'Emir Abd-el-Kader, quand il a été libéré, est venu à Paris et il est allé à l'église de la Madeleine. Je sais que, dans les années 70, il y avait une couverture du journal « l'Express » qui disait que les grands imams d'Arabie Saoudite étaient allés prier dans la cathédrale de Strasbourg. On a organisé récemment une fête pour Noël, dans un centre d'hébergement de personnes en difficulté à Lyon - «Notre Dame des sans abri» -. Cette fête se passait dans la chapelle parce que c'était la salle la plus grande, comme nous ici, pour nous réunir. Une famille musulmane n'a pas voulu entrer en disant que ce serait pécher.

Nous avons vraiment à réfléchir tout cela. Comment être vraiment fidèle à sa foi sans que cela nous coupe des autres? On a à réfléchir, comme Tareq Oubrou l'a dit, cette dimension de l'éthique universelle, de la fraternité universelle. Si nous voulons être fidèles à notre foi, sans doute y a-t-il des compromis à faire. La vie est faite de compromis. Et ce qui est « suprême », je crois, c'est que les hommes marchent ensemble puisque nous partageons cette conviction : Dieu a voulu que les hommes vivent en paix.



Comment vivre ensemble ?
Deuxième débat


Quelle vie spirituelle commune est possible?

Réponse de Tareq Oubrou

Il y a deux menaces : celle de la division violente et celle du syncrétisme stérilisant. C'est-à-dire, sous prétexte que nous allons nous unir, nous devons nous fondre dans une même soupe théologique où tout le monde est d'accord. C'est une réelle menace parce que l'homme, l'individu disparaît, les spécificités des religions disparaissent et nous sommes plongés dans le néant. Cette situation crée de l'angoisse et de la violence. Pour ma part, je ne peux pas admettre un Dieu Trine selon le christianisme et un Dieu unique selon le Coran, sous prétexte que nous aurions le même Dieu. Il s'agit bien d'un même Dieu mais il ne s'agit pas des mêmes conceptions de Dieu.

Il y a l'éthique de la conviction et celle de la responsabilité. En tant que musulman, je ne peux pas tolérer les avis des autres religions sur le discours de Dieu en islam. On ne peut pas sous prétexte de tolérance tout accepter. Il n'y a pas de tolérance en matière de convictions intellectuelles et théologiques et ceci permet de cultiver la diversité intellectuelle. Mais dès qu'on passe dans le domaine des pratiques, là nous avons besoin d'une éthique universelle. Cette éthique universelle et commune repose sur des convictions théologiques différentes.

Réaction de Patrice Leclerc

Pour ma part, je ramène tout à la politique. Je pense que le recours au fait religieux aujourd'hui est certainement dû à une désespérance politique des gens. Je pense qu'il faut retravailler le respect de la dignité des personnes. Il me semble qu'il faut faire en sorte que les gens qui sont pauvres se sentent un peu comme le sel de la terre. Il faut faire en sorte que l'on rêve ensemble et qu'on agisse ensemble pour réaliser nos rêves. Je pense que ce sont des conditions indispensables. Je crois qu'il ne faut rien taire. Je n'aime pas beaucoup le débat politique quand on n'accepte pas de se disputer. Je crois qu'un vrai débat politique c'est précisément de la dispute. Il faut se disputer pour faire société ensemble. Nous n'avons pas les mêmes convictions, nous n'avons pas la même façon de vivre, nous n'avons pas les mêmes origines ni les mêmes croyances. Eh bien disputons-nous pour voir comment faire pour vivre ensemble!

En ce qui concerne le fait de prier ensemble, Tareq Oubrou est très réservé.

Je pense qu'un lieu commun est nécessaire pour se parler et parvenir à une reconnaissance mutuelle. Par contre s'il s'agit d'une prière pratique, nous n'avons pas la même conception de la prière par exemple entre musulmans et chrétiens. Il y a un verset du Coran que j'aime beaucoup : « Oh vous les musulmans, nous vous avons créés pour que vous vous connaissiez mutuellement ». La prière que je peux faire avec des chrétiens ou des juifs c'est que nous demandions à Dieu ensemble de nous connaître mutuellement. Mais la prière en tant que rite, je pense que chacun doit la faire chez soi.


Que penser de la burqa ?

A la question de savoir si la loi de 1905 ne suffit pas pour faire face à ce problème social, Patrice Leclerc répond :

Personnellement je suis contre la loi sur le voile, contre la loi sur la burqa aujourd'hui parce que je pense que c'est un cheminement extrêmement politicien qui vise à stigmatiser les gens et non pas à traiter un problème. Si l'on pense que le voile est un problème d'émancipation des femmes, il faut faire un débat politique qui nécessite un débat public. Un débat public, c'est aussi la laïcité, c'est faire que des gens d'opinions différentes confrontent leurs points de vue pour faire une société ensemble. De ce point de vue, je vous rejoins complètement: je pense que la loi de 1905 suffit largement. Il y a des gens qu'on appelle des « laïcards », des extrémistes de la laïcité, qui pensent autrement. Pour ma part je pense que la laïcité s'applique à l'Etat, aux représentants de l'Etat, et non pas aux usagers. Pourquoi je suis contre la loi sur le voile ? Parce que cela me rappelle que, quand j'étais jeune communiste dans mon lycée, on a voulu m'empêcher sous prétexte de laïcité, de mettre un badge « J.C. ». On voulait m'empêcher de faire de la politique dans le lycée. Or pour moi, faire de la politique c'était interdit aux profs mais pas aux jeunes qui sont en formation et qui ont droit à leur liberté. De la même façon, pour les usagers des services publics, ils ont le droit d'exprimer leurs convictions, leurs croyances et leurs options politiques. Par contre les représentants de l'Etat ou des services publics, eux doivent avoir le souci de rester neutres.

Par rapport aux prescriptions coraniques, Tareq Oubrou apporte cette précision :

L'islam ne détaille pas les habits des gens. Parce que les habits relèvent de la catégorie de l'éthique qui correspond aux cultures et aux usages dans lesquels se trouvent les communautés musulmanes. Et donc effectivement la burqua, le niqab n'existaient pas au départ en islam. L'islam les a pris en considération. Mais l'histoire est une religion qui s'inscrit dans des histoires. C'est une construction. Dans le monde musulman, les habits des hommes et des femmes diffèrent souvent beaucoup. Il y a des principes de rigueur mais qui doivent intégrer les cultures en place dans la traduction de l'espace politique universel.


A propos des banques islamiques

Invité à préciser son opinion sur ce point, Christian Delorme a développé les raisons de ses réserves.

Je crois que c'est une question qui est tout à fait nouvelle dans la société française et qui est en train de prendre une dimension considérable. En plus il y a sûrement des attentes chez beaucoup de musulmans et il y a aussi beaucoup d'intérêts en jeu. Actuellement il n'y a pas que des musulmans qui sont sur le terrain ; il y a aussi toutes les grandes banques françaises qui se posent la question. Je ne suis pas spécialiste. Encore une fois je crois que tout ce que les uns et les autres nous pouvons essayer de mettre en place pour mieux vivre notre foi ne peut être que positif si on a toujours en même temps le souci du vivre ensemble. Aujourd'hui, je n'ai pas de «religion», pas de compétence sur la question de la finance islamique. Mais je me dis que si tous les musulmans, par exemple, se mettent à quitter la Caisse d'Epargne, n'est-ce pas quelque chose que nous avons en commun qui va disparaître ?

Vous demandez aussi si la finance islamique est conforme à la laïcité. Quand je vois aussi des grandes banques qui n'ont rien de musulman essayer de mettre en place des produits islamiques, je me dis qu'il n'y a là rien de contraire à la laïcité. Encore une fois, pour moi c'est plutôt de l'ordre de la séparation. Attention de ne pas nous séparer en pensant être meilleurs croyants.

A propos de la liberté de conscience en islam

Réponse de Tareq Oubrou :

Il y a beaucoup de passages, dans le Coran, qui sont des théologies de la tolérance et de l'acceptation du choix d'autrui. Je pense que le Coran est très explicite en matière de liberté de conscience ; il considère que la foi suppose une adhésion réfléchie, volontaire et libre. Nous avons des dizaines et des dizaines de versets qui stipulent que la foi est une grâce, un don. Et donc il y a des gens qui ont la foi et d'autres qui n'ont pas la chance de l'avoir. A partir de là, le musulman a une certaine vision théologique et mystique de la vérité et de l'adhésion à la foi. Tout en appelant à l'adhésion à cette foi, le Coran souligne qu'elle ne doit jamais se transformer en tyrannie, en coercition. Il s'agit de ne pas forcer les gens à se convertir. «Point de contrainte en matière de religion.» Le Coran parle au Prophète lui-même et lui dit : « Est-ce à toi de contraindre les gens ? » Le Prophète lui-même est le premier à être conscient qu'il n'y a pas d'autre obligation que d'être témoin de la foi. La première constitution de Médine stipulait que musulmans et juifs constituent une seule communauté; communauté nationale, politique. Donc là il y a les fondements d'une citoyenneté universelle avec deux religions différentes. Mais l'histoire, malheureusement, est passée dans le sens du conflit entre les deux communautés. Le fait de considérer les passages du Coran qui appellent à la légitime défense contre un Jihad coercitif, revient à passer à côté du paradigme coranique. Dans le Coran il y a deux appels : il y a l'appel à la tolérance, à la vérité tout en respectant le choix de l'autre. Et en même temps il y a l'appel à la défense de son intégrité. Car le Coran a une histoire. Ce n'est pas parce que le Coran vient d'un absolu que ce qu'il dit doit être reçu comme un absolu. La Parole de Dieu dans son essence est absolue mais dans son expression dans une histoire est relative, circonstancielle et circonstanciée.

Il y a beaucoup de versets dans le Coran qui appellent effectivement au combat mais de quel combat s'agit-il ? Et là on risque d'absolutiser ce qui est circonstanciel et de relativiser ce qui est absolu. C'est-à-dire qu'on relativise, on minimise, les appels à la tolérance et on absolutise les versets à l'apparence belliqueuse. Effectivement l'islam distingue l'appartenance à une communauté nationale et politique comme c'est notre cas. Nous appartenons au peuple français, à la Nation française et en même temps nous appartenons à une communauté spirituelle. Mais nous faisons le discernement. C'est-à-dire que le Coran lui-même nous dit : si un peuple musulman vous demande de le secourir, au nom de la religion faites-le ; sauf un pays ou un peuple avec lesquels vous avez signé un engagement. Là il faut distinguer l'allégeance spirituelle de ce qui n'est pas la défense systématique d'une autre communauté musulmane. La preuve c'est qu'il y a beaucoup de musulmans qui se sont engagés dans l'armée française ; ils ont fait le Jihad appliqué à la Nation française. Le Jihad admet ce côté universel: défendre le vrai, la paix. Et à cet égard le Jihad reste toujours d'actualité. Le Jihad n'a pas à être aboli : il est au service de l'intérêt de la nation, de la vérité, de la justice et de la paix.


A propos de la laïcité

La question a été posée de savoir quels comportements concrets adopter pour vivre ensemble. Faut-il, par exemple, préparer dans les cantines des menus spéciaux pour les enfants musulmans ? Plus largement, comment articuler l'adhésion à la foi musulmane et le partage de la culture française ? Voici la réponse de Tareq Oubrou.

Vous me posez une question assez vaste puisqu'il s'agit de la visibilité de l'islam dans l'espace laïque de la République. Il faudrait souligner que moi, en tant que citoyen, je ne suis pas obligé d'être laïque. Par contre c'est l'institution qui est laïque. Mais si je suis responsable d'une institution laïque, je dois respecter cette laïcité. Je suis le cap parce que j'ai une responsabilité vis-à-vis de l'institution. Mais le citoyen peut être juif, chrétien, athée. La laïcité n'est pas une religion. C'est un espace qui garantit la coexistence religieuse, philosophique des citoyens.

On est en train de confondre la citoyenneté et la laïcité. Il faudrait faire de la philosophie politique. Car la laïcité française est très authentique mais malheureusement elle ne répond pas à une réalité qui est toujours bien discernable. En fait il y a plusieurs laïcités. Il y a la laïcité dans les quartiers qui n'est pas appliquée ; il y a la laïcité dans les calendriers qui n'est pas appliquée. Cela veut dire que la laïcité c'est l'art de la négociation ; c'est une éthique de la gestion du pluralisme. Donc c'est une notion dynamique. Il se trouve que l'islam est venu avec sa visibilité propre. Ce n'est pas la faute de l'islam si les chrétiens ont perdu la foi. On me dit cela. On me dit que les chrétiens ont été laminés par la sécularisation. La laïcité n'a pas prévu la visibilité de l'islam tout simplement. 1905, on ne l'appelle pas la loi de la laïcité mais la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Donc on n'a pas prévu cette configuration avec le Ramadan, les mosquées, etc. Donc on est dans un combat culturel et pas juridique parce que la loi n'entrave pas la liberté des musulmans tant qu'ils ne troublent pas l'ordre public. Mais je dis aux musulmans, il faut négocier sa présence en termes juridiques mais également en termes culturels. Il faut prendre en compte également les mentalités de l'autre, l'altérité, je dirais même « se mettre dans la peau de l'autre ». Les musulmans qui ont beaucoup de problèmes déjà, ont en plus ce problème psychologique et spirituel de se mettre dans la peau de l'autre alors qu'eux-mêmes se sentent marginalisés. Effectivement, on peut toujours donner des dérogations, pour la viande, pour le foulard, etc. Mais jusqu'à quand on va traiter l'islam en termes d'exception ? Parce qu'il faut que la laïcité dise aussi ses contours. Elle entretient un flou artistique qui permet au politique de s'immiscer et aux intégristes de proliférer.

A ces réactions , Joël Chérief, curé de Gennevilliers, a ajouté ces propos.

Moi je pense que la laïcité a été pour les chrétiens une grande chance parce que elle a permis de redécouvrir qu'une religion a deux pôles: un pôle d'explication globale du monde et un pôle de la foi. Quand on est dans un pôle d'explication globale du monde, que l'on va fonder sur une révélation, sur Dieu et sur des textes comme la Bible, la tendance est d'être dans une explication totalisante et qui donc exclut; et l'Eglise catholique a beaucoup pratiqué cette exclusion, pendant très longtemps. Donc la contrainte qui s'est exercée sur nous, nous a permis de redécouvrir qu'une communauté religieuse n'est pas simplement une communauté de rites ni de comportements éthiques. Et c'est là qu'est l'objet du débat: on ne peut pas fonder une éthique universelle en l'air. Il faut bien la fonder sur quelque chose. Si le fondement du ciel échappe, je ne sais pas sur quoi on va la fonder.

J'ai bien entendu l'intervention de Christian Delorme qui faisait remarquer qu'il y avait un dialogue et que c'est à ce niveau que les choses peuvent se mettre en place. Mais il faut bien qu'on aille jusque là sinon on n'apportera rien à notre société. La laïcité nous a permis de redécouvrir la dimension de foi de la tradition religieuse. C'est-à-dire une attitude qui s'en remet à un autre que soi-même. Cela a permis à la société française de se libérer du conformisme où il fallait être catholique parce qu'on était français, de même qu'il faut être musulmans parce qu'on est de parents ou de grands-parents musulmans. Je pense que nous avons gagné en liberté et en vérité. S'il y a moins de catholiques, tant mieux parce que cela fait des gens plus vrais !




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