La femme en Islam : Ontologie et histoire
Sadek Sellam
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Malgré l’enseignement du Coran et l’expérience de l’histoire, la condition de la femme en France est un vrai problème que les représentants de l’islam savent mal aborder.


La métamorphose opérée par l’islam

Le troisième Calife Othman, en colère contre Ammar Ibn Yasser, l’apostropha un jour en l’appelant « Ibn Soumaya » (O fils de Soumayya).
- « Oui, je suis Ibn Soumayya », répondit Ammar avec la fierté d’être le fils de sa mère… Alors que les anciens Arabes se sentaient injuriés d’être appelés par le nom de leur mère.
Cela montre la métamorphose opérée par l’Islam en conférant à la femme une dignité, liée à la valeur fondamentale des « enfants d’Adam  » affirmée dans le Coran.
« O hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être et qui, ayant créé de celui-ci une épouse, fit naître de leur union un grand nombre d’hommes et de femmes. Craignez Dieu que vous invoquez dans vos requêtes mutuelles  ; craignez (de rompre) les liens de sang. Certes, Dieu vous observe.» (IV-1)

Le Coran introduit surtout une réciprocité dans les relations homme-femme, faisant accomplir ainsi un très grand progrès à la société arabe, où la femme était parfois moins qu’une non personne :
« C’est lui qui vous a créés d’un seul être. Il en a tiré une épouse à qui celui-ci pouvait se fier... » (VII-189).

Le Coran insiste sur la qualité de la relation au sein d’un couple pour les besoins de son harmonie :
«...vos épouses sont un vêtement (ou parure) pour vous autant que vous l’êtes pour elles...» (II, 187).
Ce verset utilise le mot « Libass » comme métaphore pour souligner l’intimité de la relation au sein d’un couple et l’importance des services que ses membres se rendent mutuellement.

Un autre verset attribue à la femme la capacité d’assurer à son époux le « repos », la « stabilité ». Il utilise un mot qui connote l’idée de «  sakina », un terme coranique célèbre qui désigne la « paix intérieure  » :
« (Un exemple) de ses signes: Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous vous reposiez auprès d’elles. Entre elles et vous, il a suscité affection et bonté. En vérité, il y a en cela des signes certains pour des gens qui réfléchissent. » (XXX-21).

La femme idéale est celle qui peut être la « gardienne du mystère que Dieu veut préserver » :
«... Les femmes vertueuses sont sobres et maintiennent intact en l’absence de leur mari ce que Dieu a prescrit de conserver (ainsi)...» (IV-34).

En cas de difficultés au sein d’un couple, l’amélioration n’est pas à exclure :
«...Nous rendîmes son épouse meilleure... » (XXI-90).

L’égalité sur le plan spirituel est nettement affirmée dans ce verset :
« Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les orants et les orantes, les hommes véridiques et les femmes véridiques, les patients et les patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui jeûnent, ceux et celles qui sont chastes, ceux et celles qui invoquent fréquemment Dieu, à (tous et à toutes) Dieu a réservé (son) pardon et une magnifique récompense »(XXXIII, 35).


L’enseignement du Coran et de la Sunna

Des Modèles de femme sont proposés aux croyants et croyantes, parmi lesquels Marie :
« Dieu propose aux croyantes, comme exemple, la femme de Pharaon lorsqu’elle dit : « Seigneur, construis pour moi, près de toi, une demeure dans le paradis et préserve-moi de Pharaon et de ce qu’il fait ! Préserve-moi des injustes. » (LXVI-11).
« (Il leur propose aussi un exemple), Marie, fille de Imran, qui vécut chaste et en laquelle nous insufflâmes (une parcelle) de notre esprit. Elle tint les arrêts de son Seigneur et ses Ecritures pour vrais et fut au nombre des orantes. » (LXVI, 12).

Le Coran tolère la polygamie, sans la recommander, en prenant considération le sort des orphelins :
« Si vous craignez d’être injustes envers les orphelins, (craignez également d’être injustes à l’égard des femmes). Epousez deux, trois ou quatre femmes parmi celles que vous trouverez agréables. Si vous craignez de ne pas être équitables (envers elles), n’épousez qu’une femme... plutôt que de vous charger de famille. »(IV-3)
Le passage mis entre crochets se justifie par l’avis du grand commentateur Tabari : « de même que vous craignez de ne pas être équitables envers les orphelins, craignez pareillement, à propos des femmes, de ne pas être équitables envers elles. »

A l’arrivée des mecquois à Médine, il y eut un grand nombre de conflits conjugaux, à cause du meilleur traitement des femmes médinoises par leur époux. Selon le commentateur Razi, Omar Ibn al Khattab s’en ouvrit au Prophète : « Nos femmes sont en révolte contre nous. Autorise-nous à les frapper ! » Mais le Prophète lui dit : «Soixante-dix femmes sont venues se plaindre de leurs maris à la famille de Mohamed cette nuit, et ceux qui ont battu leurs femmes ne sont pas en meilleure situation que ceux qui ne les ont pas battues. »

Omar fit partie également des compagnons qui, invoquant des raisons de sécurité, demandèrent au Prophète d’interdire aux femmes de venir faire la prière de l’aurore à la mosquée. Mais le Prophète donna gain de cause à la délégation de femmes venues revendiquer l’égalité.

Le Prophète dit un jour : « Le meilleur d’entre vous est celui qui se comporte le mieux avec sa femme. » Il permit à Oum Waraqa d’être imam et juge dans une contrée où elle était la plus instruite. Grâce à sa culture et à sa proximité du Prophète, sa jeune femme Aïcha joua un rôle important dans la collecte et le classement des récits qui permirent la rédaction des ouvrages de Sira (biographie du Prophète) et la codification des hadiths.


L’enseignement de l’histoire

La civilisation musulmane compte un grand nombre de femmes célèbres qui marquèrent leur époque : dans le domaine des lettres, il y eut Sokaïna, petite-fille de Hussein qui tenait tête aux Foqaha pour continuer à animer son cercle littéraire ; Rabia al Adawyia a été une soufie célèbre ; Wallada a marqué la vie littéraire en Andalousie ; à Baghdad, Mériem El Adoniya était déjà célèbre quand, au vu de la foule qui suivait le cortège de Razi demanda : « Pourquoi y a-t-il toute cette foule derrière ce mort ? » On lui répondit qu’il avait fourni les preuves de l’existence de Dieu.
-Quoi, s’écria la sainte femme, l’existence de Dieu avait-elle besoin des preuves de cet homme ? »
Ces précédents et tant d’autres se trouvent rappelés depuis que se pose le problème de « l’émancipation » de la femme musulmane moderne.

Dans une thèse remarquée soutenue à Paris dans les années 20 par l’égyptien Mansour Fahmy, l’auteur démontre que la situation de la femme musulmane s’explique par des raisons sociologiques et qu’aucun obstacle religieux n’empêche son amélioration.

Qassem Amine avait déjà publié son fameux « Tahrir al Mar’a al Masryia » (émancipation de la femme égyptienne). Par sa connaissance de la tradition musulmane, ce théologien d’El Azhar, ami du cheikh Abdou, avait beaucoup plus d’influence sur les familles musulmanes que les féministes laïcistes. Il a étudié à la faculté de droit de Montpellier à la fin du XIX° siècle et il était sans doute au courant du mouvement féministe lancé à Alger en 1895 par Kamel Ibn al Khodja, l’auteur de « liktirath bi hoqoq al Inath » (préoccupations au sujet des droits des femmes).

Pour tout le courant réformateur musulman, l’amélioration du statut de la femme passait par son instruction. Pour la favoriser, Abdelhamid Ben Badis décida d’exonérer les jeunes algériennes des droits d’inscription dans les écoles libres des Oulama, qui étaient payantes pour les garçons. C’était à une période où les pouvoirs coloniaux, pour les besoins de leur alliance politique avec les milieux ultra-conservateurs musulmans, n’étaient pas favorables à l’éducation des filles.


Un vrai problème en terre d’islam

En 1947, la revue « Salam Ifriqiya », que dirigeait Hamza Boubakeur, lança une enquête auprès d’un important échantillon de jeunes algériennes qui, dans leur immense majorité, se disaient mécontentes du sort de leurs aînées, mais ne considéraient pas la femme européenne comme modèle pour leur propre émancipation.

Malek Bennabi, l’auteur du « Phénomène coranique », a lui aussi beaucoup réfléchi au problème de la femme musulmane moderne. Dans son souci d’approfondir l’analyse et de ne pas se contenter d’une vision superficielle, il n’hésitait pas à recourir à la psychanalyse, qui n’était qu’à ses débuts au moment où l’auteur des « Conditions de la Renaissance  » publiait des articles remarqués sur la question dans « la République algérienne ». Selon lui, « la femme européenne se trouve sacrifiée aux pressions d’une société tendue à l’extrême, aux exigences exorbitées de la vie matérielle, de la matière. Parfois elle se sacrifie elle-même à sa propre vanité.

La Musulmane est sacrifiée elle aussi, mais aux préjugés d’un milieu puérilement conservateur qui enveloppe la personnalité de la femme d’un paternalisme étouffant ».

Tous ces intellectuels reconnaissaient l’existence d’un vrai problème de la femme en terre d’islam. Mais pour le résoudre, ils mettaient en garde contre les fausses solutions, comme le mimétisme dont se contentaient les courants modernistes. Ils plaidaient pour une émancipation puisant son inspiration dans la tradition musulmane fondée sur la valeur fondamentale de l’homme, et de la femme, affirmée dans le Coran, et sur le modèle du Prophète.

Il est étonnant, et désolant, que tous ces aspects continuent à être négligés, à chaque agitation autour du vêtement de la musulmane, par les “représentants” de l’Islam en France ainsi que par les “réformateurs” qui s’adonnent à “l’Ijtihad” uniquement dans les médias. Quant à l’émission dite islamique, ses animateurs ignorent tout cela car ils donnent l’impression d’être toujours à la recherche d’une autre religion qui se conforme aux injonctions du laïcisme militant. Cela en dit long sur la (mauvaise) qualité des débats sur l’Islam en France.

Sadek SELLAM


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