Chams Hichour (et Marie-Paule Llorens, Cf. article suivant) ont
toutes deux une longue expérience d’aumônières
de prison à la maison d’arrêt de
Fresnes, dans la division des femmes. Chams écrit : « Mon destin m’a amenée vers Dieu,
j’ai appris à l’aimer plus et à le
connaître en profondeur auprès des
femmes détenues, des pauvres et des
démunies. »
Je suis aumônier à la maison d’arrêt des femmes à Fresnes
depuis 2014, un destin que je croyais gérer mieux en milieu
hospitalier qu’en détention. Concrètement, je savais peu de
choses sur la prison, le vécu des femmes incarcérées, leurs peines
et souffrances. J’ai appris beaucoup de choses auprès des détenues,
aumôniers et personnel administratif, j’en suis extrêmement reconnaissante.
Un destin qui commence à s’éclairer
Je passais le temps à écouter les femmes détenues, j’essayais de les
comprendre, de donner un sens à la parole, le geste, le regard ou
même le silence.
Au premier abord, la prison me paraissait énorme, froide et me faisait
peur, au fil des jours, je repérais l’âme humaine cachée dans les
coins des cellules. J’essuyais les larmes qui fondent des coeurs brisés,
je prenais dans mes bras les têtes baissées de honte, les âmes alourdies
de peine. J’embrassai la misère humaine, la pauvreté, l’humiliation.
Une façon d’être et d’agir que me reprochait l’administration
pénitentiaire, sous prétexte que « les détenues ne sont pas des
anges ».
Je voulais qu’elles sachent que le pardon et la réparation sont toujours
possibles et que tout n’est pas complètement détruit…
Au passage, je racontais des blagues pour tempérer le climat tendu ou
réconcilier les femmes qui sont en conflit
Je devais garder le sourire malgré les portes qui claquent, les cris des
surveillantes, j’ignorais leurs remarques parfois déplacées comme « tu
nous ne ramènes pas le soleil ».
Je pleurais en silence l’agitation d’une détenue enragée par l’indignation,
la maltraitance et le sarcasme.
Mon destin m’a amenée vers Dieu, j’ai appris à l’aimer plus et à le
connaître en profondeur auprès des femmes détenues, des pauvres et
des démunies.
Du temps pour Dieu
« Il est avec vous, où que vous soyez» (Coran LVII, 4)
En prison, les questions autour de Dieu s’imposent (m’aime-t-il
encore ? me pardonnera-t-il ?)…
L’incarcération renvoie à la solitude ; la rupture avec le monde extérieur
crée un vide, chaque détenue cherche son moyen de consolation
; il y a celles qui prennent des calmants pour oublier leur peine,
d’autres prennent l’initiative de venir nous voir, de briser le silence, de
parler de Dieu, d’écouter sa parole, elles prennent le temps de renouer
le lien.
J’ai encore les paroles de N. qui résonnent dans mes oreilles et mon
coeur : « Je n’ai pas prié depuis longtemps, mais je suis quelqu’un
de bien, je fais beaucoup de bien autour de moi, mais j’avais trop
d’orgueil pour me prosterner devant Dieu, je n’en ai pris conscience
qu’en prison, je prie en ce moment, je Le sens accueillir ma faiblesse.»
À l’épreuve du fanatisme religieux
(on a osé mentir sur Dieu)
La séance du culte collectif se déroulait normalement jusqu’au jour où
une détenue s’est présentée à nous en tant que musulmane pratiquante,
fondamentaliste et djihadiste ?!!
Je lui ai demandé pourquoi elle a employé tous ces adjectifs? Elle aurait
pu dire tout simplement : je suis une musulmane convertie. Elle m’a
répondu qu’elle est différente de nous et que son Islam est «le Vrai ».
Ce jour là, s’il y avait quelqu’un de qui avoir pitié, je dirais que c’est de
moi. Je n’ai pas pu dormir pendant une semaine, je pensais constamment
aux propos de cette femme, à son regard perçant.
En lui rendant visite, j’apprends que son discours est basé sur des considérations
orgueilleuses plutôt que sur une véritable connaissance de la
religion, elle lisait peu le Coran, méconnaissait la langue arabe classique,
et avait quelques notions de base pour faire la prière et le jeûne…
J’ai senti le danger venir, pas le temps de se reposer, je lui ai consacré un
bon moment d’échange, d’écoute et d’enseignement en individuel.
Le pressentiment est devenu une réalité atroce et cruelle avec les
attentats de 2015.
Que dire à Dieu ? Que nos enfants nous ont trahis, qu’ils ont
choisi un chemin autre que celui de leur Prophète, qu’ils ont fait
couler le sang…
Le lendemain de la catastrophe, je sentais le besoin d’aller à la MAF,
je rendais visite aux femmes que je connaissais, leur rappelant notre
Prophète : quand il était blessé par des personnes de son peuple, il n’a
pas crié vengeance, il s’est tourné vers le pardon, il fut comme tous les
messagers de Dieu, l’expression de la bonté qui manque cruellement en
ce monde.
Dès lors, j’éprouvais le besoin d’enseigner les valeurs de l’islam des millénaires,
car l’ignorance est la pire des violences et la connaissance est
lumière et miséricorde.
Mon destin est devenu une mission urgente qui est d’aimer, de respecter,
de valoriser et de responsabiliser….
L’amour, «Mahabba», est le meilleur don de Dieu.
Echange, dialogue et richesse
Après les événements tragiques de 2015, le temps s’est endurci, impossible
de respirer en ville, en prison c’est pire, on fuit le regard de l’autre, tout le
monde se méfie de tout le monde et à force de crier, « il ne faut pas faire
d’amalgame » il y a eu de l’amalgame, car le discours extrême et répétitif
pousse automatiquement vers l’extrême.
J’ai eu l’impression que la société moderne souffre de haine délirante,
collective, qui se manifeste par le refus de l’autre, la non-acceptation de la
différence, qui ne peut mener que vers l’extermination des êtres humains.
Soucieuses des défis du moment, nous, aumôniers catholiques et musulmans
de la MAF avons décidé d’organiser une rencontre pour ouvrir le
dialogue, échanger et parler de Dieu.
Pendant les préparations de cette rencontre, et à travers les textes et les
chants que nous avons choisis, nous apprenions à nous ouvrir à l’autre,
à connaître sa tradition et à la respecter. Nous avons réussi, nous nous
sommes rencontrées.
Nous avons pu nous regarder, nous asseoir l’une a côté de l’autre et témoigner.
Dieu était content.
La marche vers le bonheur
Beaucoup de femmes en prison pensent que la foi freine le bonheur, que
pour bien jouir des biens de la vie, il faut nier Dieu ou s’en éloigner.
Pourtant, en relisant les textes, nous trouvons que la parole divine invite
au bonheur sous condition de croire en Dieu l’Unique. Un Dieu Bon et
Miséricordieux à l’égard de l’homme et des créatures.
« Et recherche à travers ce que Dieu t’a donné, la demeure dernière et
n’oublie pas ta part en cette vie, et soit bienfaisant comme Dieu a été
bienfaisant envers toi et ne recherche pas la corruption sur terre, car Dieu
n’aime point les corrupteurs » (XXVIII, 77).
Il nous est recommandé de lutter pour notre part de bonheur sur terre ; l’art
et la règle : bien garder confiance en Dieu, être bon et ne pas faire du mal.
Chams Hichour