Quand l'argent fait défaut
Claude Caillère
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Les armées israéliennes encerclent des Palestiniens et bloquent toute l'économie;
dans la bande de Gaza, par exemple,
elles ouvrent et ferment à leur gré toutes les voies d'accès pour l'approvisionnement,
dont l'aide alimentaire de première nécessité.

Comment peuvent survivre les populations civiles
lorsque les conditions militaires bloquent toute économie ?

Claude Caillère, un ami de notre association,
nous autorise à reproduire une des expériences qu'il a vécues lorsque,
chargé de mission par le CCFD,
il appuyait des projets tant en Israël qu'en Palestine occupée, durant les années 87 à 91.



Lorsque l'argent fait défaut apparaît la solidarité

Après quelques mois d'Intifada,j' étais étonné que le CCFD n'ait encore été sollicité par aucun de ses partenaires, pour une solidarité ayant directement à voir avec l'événement. J'ai donc pris l'initiative de contacter « Justice et Paix Jérusalem » pour m'en inquiéter auprès de son responsable. Je l' ai informé que j' étais prêt à examiner tout projet, en réponse à des défis aussi insolites soient-ils, dès l'instant qu'ils émanaient de l'Intifada et concernaient des besoins vitaux de la population, besoins ne trouvant pas «preneurs» parmi les agences internationales.

Dans l'urgence, cibler les réponses adaptées

Ma proposition a été entendue et, dès les semaines suivantes, je recevais une demande de solidarité financière de l'UPARC (Union Palestinian Agricultural Relief Committee) pour l' achat de 1500 cageots. Il s'agissait d'abord de conditionner des colis de première nécessité à partir des productions agricoles de la vallée du Jourdain. La pénurie de cageots en ralentissait la distribution, qui devait en être assurée la nuit, dans les camps sous couvre-feu. L'UPARC, souhaitait également expérimenter le démarrage de cinq points d' élevage, en particulier des poulaillers permettant d'assurer l'auto alimentation dans les camps par la production d' oeufs et de volailles.

Cette demande a été le point de départ de plusieurs projets de développement durable dans cette région très exposée. Les missions présentées ici se situent en phase d'émergence de ces projets. Construites dans l'urgence, elles se sont ensuite déroulées dans une perspective de défrichage, en cherchant à identifier d'autres possibilités de développement. De ces expériences sont nées des coopératives de conserveries.

Dans les camps, tendre à l' autonomie alimentaires

Il s' agissait en pleine Intifada, d'appuyer une expérience d' autonomie alimentaire dans les camps de réfugiés soumis à une très violente répression, les autorités imposant des couvre-feux interminables. Un des camps a d'ailleurs été mis sous couvre-feu durant une période consécutive de quarante et un jours.

Un des cinq points d'élevage qui m' étaient indiqués se trouvait au camp de Jalazoune ; la visite n'a pu s'y faire à cause de la rigueur de la surveillance. Nous n'avons pu le voir que de loin et à l'insu de l'armée d'occupation placée sur les hauteurs qui dominent le camp. Nous étions en plein été. Çà et là, des femmes se risquaient sur les toits de leur maison pour y étendre le linge. A l'intérieur, des familles de plusieurs dizaines de personnes étaient obligées de se cloîtrer, entassées dans une ou deux pièces de quelques mètres carrés.

Mon accompagnateur n'était pas en règle vis-à-vis de l'autorité d'occupation, ce qu'il me confia lors d'un contrôle à un barrage de l'armée. Mais la chance était avec nous, il ne s'agissait que d' un contrôle fiscal. Comme il était professeur à l'université de Birzeit, on vérifia ses dires sur un listing et on le laissa repartir. Un autre élevage était situé à Béjalia, près de Bethléem. Il concernait des élevages de lapins, de poules, de brebis et de chèvres.

Cette visite m'a permis de toucher de l'intérieur le travail clandestin qui s'opérait là.


Témoin d' un travail clandestin

Comme nous passions dans un village, mon chauffeur me désigna du doigt le magasin central où se trouvaient stockées les denrées alimentaires. De ce magasin, toutes les trois ou quatre nuits, des volontaires partaient avec les productions animales et végétales, ainsi que d'autres produits de première nécessité, (eau potable en bouteilles et lait maternel). Clandestinement et à leurs risques et périls, ils allaient les distribuer dans les camps sous couvre-feu aux familles nécessiteuses, prioritairement à celles ayant des enfants en bas âge.

Le lendemain, la surveillance s' étant relâchée dans un autre camp, nous avons visité un poulailler clandestin installé sur la terrasse d'une maison, huit cents volailles élevées en batterie. Cette famille était chargée de l'élevage et de la vente des oeufs dans les familles environnantes. Tous les espaces disponibles étaient utilisés pour y cultiver concombres, tomates, pois-chiches, courgettes, etc. Toutes les occasions étaient saisies pour permettre d' atteindre l'autonomie alimentaire. Je mesurais comment l'argent provenant du CCFD était efficacement utilisé. Nous ne pouvions inventer seuls les solutions appropriées ; il faut la participation des personnes concernées.

Au delà des camps

Des religieuses, résidant dans la vieille ville de Jérusalem Est, m' ont fait part d'une visite insolite. Un soir, un inconnu a sonné à leur porte et leur a remis un colis contenant des produits de première nécessité. Elles ne s'estimaient pas parmi les plus nécessiteuses du quartier et ont voulu le refuser. Malgré leur insistance, l'inconnu a refusé de le reprendre et a disparu. Quelle ne fut pas leur surprise en l'ouvrant, d'y trouver un verset du Coran et un verset de l'Evangile sur l'assistance aux nécessiteux. Délicatesse signifiant clairement qu'elles étaient reconnues comme totalement des leurs, impliquées elles aussi et à leur manière propre, dans la lutte de ce peuple si souvent bafoué dans sa dignité, humilié et réprimé. Il faut préciser que, lorsque le souk de Jérusalem faisait grève en protestation à la répression, elles fermaient également leur magasin en signe de solidarité; ce qui n'était pas compris des pèlerins désireux d'acheter quelques souvenirs, et trouvant porte close.

Au cours de cette mission, l'UPMRC (Union Palestinian Medical Relief Committees) m'a présenté une liste de médicaments indispensables à son activité, dans cette situation d' urgence et de répression permanentes. Nous avons soutenu la banque du sang informatisée, la formation des femmes au secourisme, « le geste qui sauve », puis les soins d' urgence et la formation sur trois année et par séquences hebdomadaires, aux soins primaires de santé. Un livre a été publié aux « Editions de l'Atelier » relatant ce projet « Libres femmes de Palestine ».


Des démarches auprès des instances religieuses

Ces rencontres avec les associations, sur le terrain des projets, s'accompagnent également de nombreuses démarches institutionnelles.

J'ai rencontré le patriarche latin, Monseigneur Sabbah, pour partager l'analyse de la situation, parler des actions soutenues en Palestine et en Galilée et de la participation des chrétiens à l'Intifada. Je l ai invité à rencontrer l'équipe de direction du CCFD lors d'un séjour parisien, afin que se créent avec l' équipe des liens de connaissance mutuelle. Les partages fraternels sont très importants quand on est affronté à de telles situations. Date fut prise dans le plus grand intérêt mutuel.

La même démarche à été réalisée avec le patriarche grec catholique (Melkite) de Jérusalem, pour m'entretenir avec lui des projets menés conjointement avec les partenaires de son Eglise. Il s' agissait de lui témoigner notre solidarité et notre volonté d'ouverture. Cette démarche a été très appréciée. En effet, l'Eglise d'Orient est jalouse du rôle qu'elle a joué dans la transmission du message évangélique. Elle se sent dépréciée par rapport à l' Eglise latine, alors qu'elle est l'héritière directe des premiers chrétiens et qu'elle est l'Eglise origine. Pour les autorités religieuses d'Orient, être consultées et impliquées dans nos démarches était un élément important. C'est ainsi que je le ressentais dans les échanges que j'avais et que je tenais à entretenir.

... des autorités consulaires...

Il va de soi que s'imposent également des visites aux autorités consulaires pour signaler notre présence, s'informer de la situation, avoir recours à leurs services pour faciliter un déplacement ; se rendre à Gaza à cette époque posait déjà problème. Nous avons échangé sur la situation. Nous avons parlé des réalisations dans lesquelles les services du consulat étaient impliqués tout comme nous mêmes, tels les projets co-financés par le gouvernement français et, pour certains, la commission des Communautés Européennes. Il s'agissait aussi de faire connaître nos propres projets en préparation. Cette coopération facilite les réponses données par les services consulaires quand ils sont consultés par les services du ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération, chargés en France de l'instruction de ces derniers pour avis d'acceptation et de financement.

Informé de ma présence à Jérusalem, le consul de France à Jérusalem-Est m'avait invité à le rencontrer pour me présenter l'action de ses services en appui à l' économie palestinienne. Il s'agissait d'organiser la mise en oeuvre de la volonté gouvernementale d'appuyer dans les Territoires occupés, les initiatives économiques de l'artisanat, des PME et de l'agriculture. Un fonds important étant sur le point d' être débloqué, il sollicitait le CCFD et la SIDI à travailler à l'organisation de la gestion de ce fonds avec quelques partenaires identifiés par ses services. C'était pour nous la reconnaissance du sérieux des actions dans lesquelles nous étions impliqués. Par cette démarche, le consulat manifestait son souhait de créer les conditions d'une gestion efficace de cet argent.

... de l'ambassadeur de France à Tel-Aviv...

L'ambassadeur de France à Tel-Aviv ayant eu vent par son service culturel de la réticence du CCFD à s' impliquer dans la réalisation d'un projet pour nous « pharaonique », en Galilée, a manifesté le souhait de me rencontrer pour connaître les raisons de mes réserves. Il s' agissait de l' édification d' un établissement d' enseignement professionnel technique important. De mon point de vue, je n'avais pas obtenu d'informations satisfaisantes à mes questions sur l'opportunité du projet, sur la réalisation d'une étude de faisabilité, la pertinence des sections et des débouchés offerts localement au terme de l'apprentissage et des études. Je m'interrogeais également sur l'absence de concertation avec les autres établissements concernés, la non fourniture d' un budget prévisionnel et l'absence de partenaires financiers engagés autrement que verbalement. J'avais également émis des réserves sur les délais d' exécutions prévus.

Monsieur l'ambassadeur demanda l'avis du consul d'Haïfa présent à la discussion et conclut qu'avant d'aller plus avant, il lui semblait sage de diligenter une enquête lui permettant de se prononcer sur l'opportunité de ce projet promoteur également de la francophonie.

Comment répondre à toutes les demandes ?

Satisfaire toutes les attentes est impossible, hélas! Et les choix, quand l urgence est partout, sont très difficiles à faire. J'ai été sollicité, par exemple, pour intervenir dans un projet qui concernait l'accompagnement sanitaire de malades palestiniens emprisonnés. Les soins primaires leur étaient refusés à l'intérieur des prisons, parce qu'ils n'étaient pas suffisamment coopérants avec les services de renseignements israéliens qui attendaient d'eux l'impossible : dénoncer pour être mieux traité. Je devais répondre par la négative, bien que l'urgence se situait là également.

Ceci est un exemple de la façon dont, durant mes neuf années passées au CCFD, se sont déroulées mes missions. A travers ce témoignage, on voit comment se sont construites mes convictions. Je les présentais à la décision de la commission de sélection des projets qui siégeait trois fois l'an. Il s'agissait de convaincre du bien fondé du travail qui se réalisait sur le terrain. Il s'agissait de convaincre que dans la guerre, dans l'urgence, malgré les risques, peuvent se mettre en place avec les populations concernées, les bases d'un développement durable.
Claude Caillère


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