Sagesse humaine, sagesse coranique
Fatima Chibane-Bennaçar
"Convoitise ou désir..." Page d'accueil Nouveautés Contact

Une musulmane ne peut ignorer la philosophie ni s’y enfermer. Le Coran prend place dans la sagesse humaine.


Convoitise désir et possession

Qu’elle soit exprimée ou non, la convoitise est, par définition, le fait de convoiter, c’est-à-dire, désirer ardemment quelque chose afin de le posséder. Le plus souvent, ce quelque chose appartient à autrui. C’est synonyme de cupidité et d’avidité. En fait, il existe des degrés de convoitise : au sens littéraire la convoitise (ou les convoitises) revêt le sens de concupiscence et de rapacité. On parle de convoitise de la chair, des convoitises d’argent et des femmes. Elle exprime un désir immodéré, extrême de posséder charnellement quelqu’un. Dans les deux cas, il a plus ou moins une idée d’interdit car liée à l’idée de péché.

Quant au désir, c’est une tendance particulière à vouloir obtenir quelque chose pour satisfaire un besoin, une envie. Cette tendance est issue d’un sentiment de manque chez l’individu comme le disait Platon dans Le Banquet : « On ne désire que ce dont on manque. »

En philosophie, l’homme est considéré comme un être de désir. Si Spinoza a pu faire du désir l’essence même de l’homme, c’est que désirer n’est pas un phénomène accidentel mais bien le signe de sa condition humaine. C’est d’abord et évidemment le signe d’un manque. L’homme éprouve sans cesse des désirs : que le désir soit un objet déterminé (voiture ou iPhone par exemple) ou un état diffus et général (le bonheur), désirer semble faire corps avec l’élan même de la vie qui entraîne l’homme au-delà de lui-même, vers des objets extérieurs pour se les approprier ou vers ce qu’il voudrait être. On ne désire que ce qui nous manque et ce manque peut provoquer une forme d’insatisfaction et une source de souffrance. Mais si le désir est assouvi, surviennent alors le plaisir, le contentement voire le bonheur ; s’il n’est pas assouvi c’est la souffrance, le malheur. Il y aurait au cœur de l’homme une absence de plénitude et un inachèvement qui aspirent à se combler et qui seraient à l’origine de la dynamique même de l’existence.


La diversité des approches

Depuis l’Antiquité grecque jusqu’à nos jours, les philosophes se sont demandé quelle place faire aux désirs et les réponses se succèdent différentes et variées. Platon expose l’idée d’une vie ascétique où l’homme doit lutter contre les turbulences de son corps alors qu’Aristippe, fondateur de l’école de Cyrène, établit sa morale sur la recherche du plaisir. De la même manière Épicure, pour qui il existe des désirs naturels (besoins nécessaires) et des désirs vains, fonde une morale qui fait du plaisir le seul bien et la douleur le seul mal. Pour ce philosophe grec fondateur de l’épicurisme, l’homme doit s’adonner aux plaisirs pour atteindre le bonheur. D’après Épicure « le plaisir n’est pas un mal en soi, mais certains plaisirs apportent plus de peine que de plaisir ». En général le plaisir est même nécessaire au bonheur. En le recherchant on fuit la douleur. La quête du plaisir peut générer violence et injustice quand il s’agit du désir de posséder, de dominer, d’asservir, de jouir contre la volonté d’autrui.

Alors que la théologie chrétienne réprouve la concupiscence, l’islam ne condamne pas la gourmandise sexuelle et il comporte un grand nombre d’aspects jouissifs et libres sans être pour autant libertins. Dans l’islam, le désir comporte un problème moral ; les âmes sont perturbées par des désirs et des convoitises qui corrompent l’accomplissement de l’amour et la servitude d’Allah et la dévotion sincère de la religion.


Le Coran et la sexualité

L’anthropologue, psychanalyste et écrivain Malik Chebel lève le voile dans son œuvre sur la culture propre à l’islam, sous l’aspect érotique des rapports entre les sexes, des arts et autres raffinements de la culture orientale. L’écrivain précise que « le coran et la tradition n’abordent à aucun moment le sexe que sous l’angle de la reproduction. Ils sont traités en toute objectivité et pudeur. La pudeur, d’ailleurs, qui est une notion essentielle dans le Coran  ». On remarque que pendant la période préislamique, la pudeur et la chasteté de la jeune fille étaient des vertus essentielles, elles constituaient son capital moral. Avec l’arrivée de l’islam, toutes ces questions ont été réévaluées à l’aune des nouveaux mécanismes matrimoniaux. Dieu dit en évoquant les épouses dans son livre  : « Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles… Cohabitez avec elles et recherchez ce qu’Allah a prescrit pour vous » S 2 V 183, V187 ou encore : « Vos femmes sont pour vous une terre labourée, allez comme vous voudrez à votre labourage  » S2 V223.

Le Coran évoque la question de la sexualité comme thème spécifique dans les sourates II (187, 222), IV (15,16,21) et XV (68). Les thèmes sont extrêmement variés allant de la chasteté pré-maritale à la débauche et à la froideur sexuelle en passant par l’interdit de l’homosexualité ou de l’adultère. Mais le Coran ne dit rien du désir ou de la satisfaction sexuelle. En revanche, l’avortement est interdit car l’islam est dans le principe même nataliste tout comme le judaïsme et le christianisme. Quant à l’adultère, il est stigmatisé à l’extrême surtout celui de la femme qui est condamné sans retenue. Et l’usage extrémiste en Arabie Saoudite a déteint sur la plupart des législations nationales. Or l’homme échappe très régulièrement à la condamnation morale qui flétrit l’honneur de la femme. Mais comme tous les monothéismes, l’islam est un plaidoyer pour l’homme.

L’islam est considéré comme une religion plus équilibrée que le christianisme, en ce sens que les instincts naturels de l’homme sont pris en compte et y trouvent leur place. On doit noter qu’aucun vœu de célibat n’est valable car c’est un déni de la nature humaine et une entrave au cycle de la vie. Par ailleurs, il y a une grande différence entre le vœu de célibat et celui de chasteté. En effet, la notion de chasteté en islam n’est point contradictoire avec le mariage car il s’agit tout simplement de préserver sa personne de toutes les relations sexuelles considérées comme immorales. Les versets 5 à 7 de la sourate 23 l’explicitent, Allah le très haut dit : «  Ceux qui préservent leur chasteté sauf lorsqu’il s’agit de leurs époux ou leurs esclaves, ils ne seront point blâmés. Celui qui cherche une jouissance en dehors de ceux-là voilà alors le transgresseur. » D’après des études scientifiques, il semble que le fait de regarder les femmes avec convoitise provoque un grand nombre de troubles, notamment l’arthérosclérose, la tension artérielle. Par ailleurs, Allah ordonne dans sourate La Lumière : V 30 « Dis aux croyants de baisser le regard et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux. Allah est, certes, parfaitement connaisseur de ce qu’ils font. »


Le Coran et les interdits

« Il n’est point de contrainte dans la religion », mais le Coran tantôt permet et tantôt interdit. Parmi les soixante-dix interdits de l’islam on trouve l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, le mariage par intérêt et avec la sœur, la demi-sœur, la tante, la fille du frère ou de la sœur ; la corruption, l’acquisition des biens par des moyens illicites (faux serment, vol, pot-de-vin, escroquerie, proxénétisme, fraude par un marchand), le détournement du bien d’autrui et la fornication : «  Évitez la fornication. C’est une abomination. Quel détestable chemin ! « (sourate Al-sajda, verset 32). Le Coran interdit aussi les jeux de hasard, la consommation de boissons alcoolisées et de viande de bêtes mortes comme il est cité dans Sourate Le Festin (5 ; 3) : « Sont interdits pour vous les animaux qui meurent d’eux-mêmes, le sang , la viande de porc et les animaux dédiés à d’autres qu’Allah .»

Les juristes musulmans ont classé les aliments en quatre catégories  : halal licite – haram interdit – mubah permis – makruh licite mais répugnant. La règle générale est que tout est licite, sauf ce qui est expressément interdit. Les animaux doivent être tués en prononçant le nom d’Allah. Ils doivent être vidés de leur sang, celui-ci étant impur, d’où l’abattage en tranchant la veine jugulaire avec un couteau.

Le statut du vin est un peu plus complexe : l’islam condamne le vin car c’est un produit qui altère la raison et le comportement de l’homme. Mais quand Dieu dit dans Le Coran (sourate Les Femmes 4;43) : «  Ô croyants ne priez pas en état d’ivresse » , est-ce pour autant qu’Il accepte que le musulman consomme des boissons alcoolisées ? Il me semble que dans Sourate La Vache (2,219), Dieu met dans le même panier le vin et les jeux du hasard. On peut les considérer comme licites mais répugnants (Makruh) plutôt que permis (Mubah). Dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens ; mais dans les deux, le péché est plus grand que l’utilité. Bref, boire le vin est un péché. Sourate Le Festin (5;90) est catégorique : « Ô les croyants  ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées (NDLR : les idoles), les flèches de divination ne sont qu’une abomination œuvre de diable ? Ecartez-vous en afin que vous réussissiez. »

L’islam est un comportement et les musulmans savent que ce n’est ni le succès, ni la gloire, ni la richesse, ni autre chose qui procurent le plaisir et apportent le bonheur. Le vrai bonheur réside plutôt dans la pratique des principes de l’islam qui régissent la vie du musulman de sa naissance jusqu’à sa mort. Cela ne veut nullement dire que l’islam s’oppose à ce que le musulman soit riche ou connaisse une certaine notoriété ou jouisse des biens dans cette vie, mais lorsque ces choses sont encadrées par l’islam, alors elles prodiguent au musulman la sérénité dont il a absolument besoin. Aussi le bonheur durable ne se trouve pas dans la réussite professionnelle ou l’acquisition de richesse, le véritable enrichissement, c’est celui de l’âme. Le véritable bonheur est cette paix intérieure qui provient de la soumission du croyant aux commandements du Créateur et Seigneur du monde. Dieu dit dans le Coran  : « N’est-ce point par l’évocation de Dieu que se tranquillisent les cœurs ? » (S 13, V28).

Fatima Chbibane Bennaçar

Enseignante retraitée, écrivaine, chef de rédaction de Pluton magazine, traductrice et présidente de l’association culturelle Rives Méditerranéennes


Retour au dossier "Convoitise ou désir" / Retour page d'accueil