"Un tourment pour les maires!"
Catherine Margaté
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Catherine Margaté,
Maire de Malakoff et Conseillère Générale des Hauts-de-Seine,
a bien voulu répondre à nos questions
sur la gestion d'une municipalité
en banlieue parisienne.


L' asphyxie des collectivités locales

Je suis membre du Parti Communiste depuis mai 1968, j'anime à Malakoff une équipe d' Union de la gauche : des communistes, des socialistes et des personnalités locales qui partagent les orientations du programme municipal sans appartenir à un parti. Je m' affirme également féministe. Maire depuis 1996, je suis entrée au Conseil municipal de Malakoff en 1989.

Quels sont les problèmes propres à une ville comme Malakoff ?

Les problèmes de Malakoff ne sont pas propres à la ville .Aujourd' hui les collectivités locales (villes, départements ou régions) subissent une sorte d'asphyxie. Les dotations, dans une ville comme la nôtre (30000 habitants) diminuent d'année en année. Chaque année on accroît le différentiel entre les dotations d'Etat qu'on reçoit et les besoins des populations. Nous avons les ressources qui viennent de la taxe professionnelle(1); elle dépend, bien évidemment des entreprises et il est vrai que, depuis 1972, par réformes successives, elle s'amoindrit. Je pense qu'il est bien d' avoir un impôt local que les entreprises paient. Mais on a enlevé la part « salaire » !

L'accroissement des besoins

Nous sommes dans une ville mélangée, avec 40% de logements sociaux ; la population est encore populaire. Des gens assez aisés ont acheté à Malakoff. Nous avons aussi des cadres moyens, infirmiers, personnel du monde de la santé, ou de la communication. Parmi les populations les plus modestes, les besoins s accroissent. Le chômage augmente, notamment au niveau des jeunes. Le logement pose problème: beaucoup vivent dans des conditions assez peu correctes. Il faut ajouter les besoins de la population : des terrains de sport, du cinéma. Nous sommes fiers du centre de santé municipal: on a mis beaucoup d'argent pour le rénover. Nous tenons à réduire les inégalités d'accès à la santé et de fournir des soins de qualité pour tous. Des crèches sont ouvertes. Les besoins grandissent au fur et à mesure que les ressources diminuent.

Il faudrait une réforme qui donne aux collectivités locales les moyens de répondre aux besoins. Ceci est un tourment pour les Maires ; ils sont confrontés à des besoins normaux mais ils sont coincés.

D' où vient l' argent ?

L'argent d'une municipalité vient des dotations d' Etat. S'y ajoutent différentes subventions ; par exemple quand on construit un Centre de Santé. Nous avions aussi des subventions de la Région et du Département mais elles ne couvrent absolument pas la dépense. L'argent vient aussi des prestations que versent les gens pour un service ; au restaurant scolaire ils paient en fonction de leurs ressources. Le quotient familial est appliqué à toutes les catégories sociales.

Nous percevons aussi les impôts locaux. Nous en avons deux : la taxe d'habitation et la taxe foncière, sur les propriétaires. On a la taxe professionnelle. Mais ici cette dernière est versée à l'agglomération « Sud de Seine » : Clamart, Bagneux, Malakoff et Fontenay-aus-Roses. L'agglomération rend un certain nombre de services : assainissement, ordures ménagères, les conservatoires, les piscines. Or, au fil des années, les dotations de l'Etat ne correspondent plus aux dépenses. Les dépenses augmentent et les dotations baissent.

Le danger des emprunts

Vous pouvez emprunter ?

Oui mais cela se traduit ensuite en charges financières pesantes. Nous y avons échappé, mais une banque des collectivités territoriales nous a sollicités. Elle faisait de la publicité auprès des maires en proposant des prêts à 2% les deux premières années. Vous êtes ensuite indexés sur d' autres monnaies. Des villes comme Le Havre, St Etienne se sont laissé prendre par ces emprunts qu' on appelle « toxiques ».

L'argent, aujourd'hui, où est- il ? Le Président de la République prête 360 milliards aux banques. Sans aucune contrepartie sur l'emploi, sans conséquence sur la protection sociale. Nous avons beaucoup de petites entreprises qui ne peuvent avoir d' emprunts auprès des banques en ce moment. Au XIXème siècle, la richesse était foncière, reposant sur l'agriculture. Au XXème siècle, elle était industrielle. La taxe professionnelle était basée sur l'industrie. Désormais, c'est financier. Une banque paie moins de taxes professionnelles qu'une entreprise de production. Les actifs financiers des banques, des structures financières devraient être mis dans un pot commun au plan national et répartis selon les besoins pour augmenter les dotations d'Etat.

Dans le cadre d'une ville moyenne, les problèmes restent gérables. Mais bien des villes ont peu de ressources et beaucoup de pauvres. En dix ans, on le voit quand on étudie le schéma directeur de la Région parisienne, la pauvreté des gens et des villes s' est fortement accrue alors qu'il faudrait réduire les inégalités. Depuis plusieurs années, la politique augmente les inégalités. Dans biens des villes , 50% des gens ne paient pas d' impôts! Quoi faire quand on a augmenté les impôts au maximum et endetté la ville (les banques prêtent aux pauvres à un taux plus élevé qu'aux riches. Dans les villes de banlieues, par exemple, où il y a eu des dégâts, les prêts sont plus élevés!)? Tout est plus cher pour les plus pauvres. Il faudrait, dans le schéma de la Région parisienne, rééquilibrer cette situation.

Il y a des richesses fiscales extraordinaires en certaines villes mais on y compte 3,5% de logements sociaux. Il devrait y avoir répartition des richesses fiscales entre départements et au niveau de la région parisienne.


Oeuvrer pour un nouvel ordre mondial

Que pensez-vous de la crise actuelle ?

La crise internationale est d'abord crise d' un système. Le fait d'avoir laissé la spéculation et la finance envahir le monde et soumettre tout à sa loi ne pouvait qu'aboutir à la situation actuelle. Quand on voit les subprimes - c'est-à-dire quand on prête à des gens pauvres beaucoup plus qu' ils ne peuvent rembourser et cela uniquement pour gonfler les banques -, quand on voit que les actionnaires aujourd'hui veulent des taux de rentabilité à deux chiffres, quand on voit qu' on se sert de la crise pour fermer des boîtes ou pour diminuer des emplois alors qu'il y a des entreprises qui font du profit, quand on prend conscience de tout cela, on comprend la crise d' aujourd'hui. On fait de l' argent pour de l' argent. Aujourd' hui j' ai entendu à la radio que les Etats-Unis allaient faire du protectionnisme, fermer leurs portes aux importations venues des pays africains alors qu' on leur a fait changer toutes les cultures vivrières dont ils se nourrissaient . On a fait venir des paysans qui vivaient sur leur lopin de terre dans les villes où ils crient misère.

Il faut que beaucoup agissent pour un nouvel ordre mondial qui ait pour base la justice et le partage.

D' où peut venir ce nouvel ordre mondial ?

D'où cela peut-il venir ? Des luttes des uns et des autres dans tous les pays. On a beaucoup à apprendre de l'Amérique latine. Ils ont des initiatives de partage. Agissons aussi avec la participation des gens. Si on arrivait à avoir les actifs des entreprises et des entreprises financières pour répartir l' argent, ce serait un saut qualitatif qui permettrait d' utiliser les richesses autrement. Les manifestations du 29 janvier étaient une lutte pour qu'on écoute et qu'on prenne en compte ces revendications.

Quel est votre plus grand souci ?

Comment réconcilier l'individu et la communauté ? Je me bats pour cela.

Ceci se produit dans un contexte national de volonté de réduire les dépenses publiques. Les collectivités territoriales font 70% des investissements civils. Cela représente un marché considérable qu'on voudrait nous obliger à passer dans le privé. Nous faisons tout en régie, c'est-à-dire directement. Par exemple, nous prenons en charge la santé, les restaurants scolaires, les colonies de vacances. On veut maintenir un bon service public, ne pas faire payer trop d'impôts aux gens. Voici 10 ans que les impôts n' ont pas augmenté; cette année nous sommes obligés de le faire. Si nous n'équilibrons pas le budget, c'est le Préfet qui l'équilibrera à notre place. Il faut l'éviter.

Maintenir un service local, ce n'est pas seulement employer des personnes mais c'est maintenir les crèches, les services publics. C'est pourquoi nous étions à la manifestation du 29. Elus et personnels communaux, nous sommes dans la même galère pour essayer de sauver ce qui peut l'être.

Catherine Margaté



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