Vivre ensemble ou le fruit d'une histoire
Mohammed Benali
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La rencontre du 10 avril, dans la mosquée de Gennevilliers
aura été possible grâce à un travail intérieur dans les consciences musulmanes.
Mohammed Benali a été témoin des efforts de sa communauté
pour vaincre la difficulté.


Une division à surmonter

Quand on a proposé la rencontre au Conseil d'Administration de Ennour, la division était grande. Une partie seulement de l'association était favorable au projet. Heureusement, c'était la majorité. Ils pensaient qu'il fallait seulement bien préparer l'ensemble de la communauté. Une autre partie, également assez importante, hésitait. Ils se sont renseignés; ils ont interrogé ceux qu'on appelle « les savants » ; ils sont allés consulter d'autres imams à l'extérieur de Gennevilliers. Ils cherchaient des références. Une troisième partie, enfin, était formellement opposée. Jusqu'à la veille de la manifestation, ils ont essayé de faire revenir le C.A. sur sa décision en proposant de faire visiter la mosquée et d'aller ensuite dans une salle de la ville. Ceux qui étaient totalement contre le projet n'avaient, à mon avis et à celui de la majorité, pas d'arguments valables.

Un jeune de 23 ans, par exemple, est venu à la dernière réunion; il avait demandé à son Cheikh de lui préparer des arguments à nous opposer. Il est venu en retard et reparti avant la fin, juste pour nous lire deux pages de quelques savants des premiers siècles et de quelques modernes qui prétendent qu'il est interdit aux non-musulmans d'entrer dans une mosquée. L'opposition a été très forte : trois membres ont démissionné.

A la recherche d'arguments

Ceci m'a poussé à rechercher moi-même des arguments. J'en ai trouvé beaucoup! De nombreux savants disent que tous les humains ont le droit d'entrer dans les mosquées, les chrétiens en premier lieu parce qu'ils sont des gens du Livre. J'ai pris soin de choisir mes auteurs : je ne me suis référé qu'à des savants de la tendance salafiste à laquelle appartiennent les opposants. En s'appuyant sur l'accueil par le Prophète des chrétiens de Najran, ces fondamentalistes défendent le droit des chrétiens à entrer dans une mosquée.

J'ai pris la parole devant la communauté toute entière, la veille de la rencontre avant la prière du vendredi, pour développer ces arguments. J'ai attendu que la mosquée soit pleine et j'ai parlé pendant une demi-heure devant trois mille personnes. J'ai réussi à convaincre le plus grand nombre ; A la fin, les salafistes eux-mêmes étaient divisés. Certains sont venus me dire: «Puisque tu as des arguments de tel et tel Cheikh, va-s-y.» D'autres, en revanche, sont demeurés irréductibles; ils m'opposaient des textes contredisant ceux que j'avançais. Je leur ai répondu: «Tu n'as pas confiance en Cheikh Othmeini!». Ce cheilh est une grande référence pour les salafistes. Il s'agit d'un personnage paradoxal; il est vraiment une référence pour les salafistes bien qu'il soit très modéré. En travaillant ses textes pour trouver des arguments, j'ai été étonné. J'ai consulté également les oeuvres d'Albani. Celui-là est un dur et pourtant il dit que le non-musulman a le droit d'entrer dans la mosquée. Il ajoute même que s'il s'agit d'un voyageur demandant de passer la nuit dans la mosquée on doit obligatoirement l'accueillir. Ou s'il y a des tempêtes, s'il pleut ou s'il fait très chaud, il faut que l'Imam l'héberge. J'ai dit aux musulmans: «Vous voulez plus que cela? Les personnes que nous allons accueillir ne vont pas dormir ici. Elles viennent seulement assister à une conférence».

Un voile pour les non-musulmanes?

J'ai précisé : « On demandera aux femmes de mettre le voile ». J'ai proposé qu'on apporte des foulards. Il fallait trouver une solution courtoise plutôt que d'imposer une tenue de rigueur à l'intérieur de la mosquée. Certains voulaient qu'on écarte celles qui seraient tête nue. D'autres souhaitaient qu'on leur parle et qu'on leur explique les raisons de se voiler. D'autres, enfin, ont dit : « Il faut le leur offrir en cadeau ! » sans leur faire la leçon. Les femmes comprendront. La majorité s'est alors ralliée à cette opinion. En réalité, beaucoup ont pris le voile mais ne l'ont pas mis sur la tête. Cela n'a posé aucun problème !

On avait suggéré de préparer quelques robes assez amples pour celles qui risquaient de venir avec des tenues provocantes : minijupes ou décolletés. Sur ce point, nous étions d'accord pour ne pas transiger. Nous nous préparions à expliquer qu'il fallait éviter de créer des problèmes dans la communauté. Mais aucune femme ne s'est présentée dans une tenue incorrecte.


Un service d'ordre discret

Pendant la rencontre, tout s'est bien passé. Quelques personnes seulement sont venues manifester leur mécontentement. Elles ont tout de suite été maîtrisées par le service de sécurité. On avait mis en place un service d'ordre: une vingtaine d'hommes étaient disséminés dans la salle; deux ou trois étaient à la porte et à l'extérieur. Ils sont restés discrets mais vigilants. Notre service d'ordre, en place depuis le début de notre existence, est bien rodé.

Tout s'est bien passé. Certains des «opposants» étaient dans la salle. Ils ont écouté toutes les interventions très pacifiquement. Par la suite, plusieurs ont continué à désapprouver. Ils nous accusent d'avoir négligé leur avis. Nous avons discuté calmement. Beaucoup de ceux qui étaient hésitants au début ont changé d'avis et demandent d'autres rencontres de ce genre. La communauté dans son ensemble est enchantée.

A mes yeux, l'ouverture sur les autres communautés est très importante. On avait toujours promis, avant même que commence la construction, de faire de cette mosquée un lieu d'ouverture accueillant et transparent. J'avais à respecter les promesses que j'ai toujours faites. Cet événement est une première; nul ne l'a jamais fait. Cheikh Tareq Oubrou était étonné. «Quel courage! Comment as-tu fait? Comment as-tu réussi à convaincre la communauté?» Il fallait prendre ce risque, avancer, inventer. On ne peut pas se contenter de faire ce que font les autres. Il faut aider la communauté à sortir de sa coquille.

Il s'agissait aussi de faire connaître la mosquée. Beaucoup nous ont connus par la télévision: pendant un certain temps, nous avons été très médiatisés (France2, France3, France5, Beur FMTV, Canal+, M6). Beaucoup voulaient nous découvrir : je voulais leur donner cette occasion de voir de leurs propres yeux.

Je voulais aussi contribuer à faire tomber les préjugés dont l'islam est victime. Les médias nous massacrent. Depuis que j'écoute la radio ou depuis que je regarde la Télévision en France, j'ai l'impression que nous sommes stigmatisés. L'islam est une religion d'accueil, de respect de l'autre. Les spots publicitaires annonçant ont été importants pour nous. Tous les auditeurs de Radio-Orient ont pu entendre parler d'une rencontre entre musulmans et chrétiens : c'est très important.

Laïque et musulman

J'ai tenu à dire : «Je suis laïque!» Je ne vois, pour ma part, aucune contradiction entre la laïcité française et le fait de vivre en islam. Je considère que la laïcité est une chance pour l'islam. J'y vois la garantie de pouvoir pratiquer ma religion dans les meilleures conditions.

Certains disent que la laïcité est un monument national auquel il ne faut pas toucher. Oui, la laïcité est un monument mais un monument qui a cent ans a besoin d'être restauré. Il faut l'adapter au contexte et à l'époque. On demande à l'islam de s'adapter au temps et à l'espace. Ce devrait être vrai aussi pour la laïcité. Le contexte de 2010 n'est pas celui de 1905. La France laïque devrait soutenir les religions et les organisations religieuses. Pourquoi ne pas les subventionner? Les associations religieuses rendent service à la société. Elles peuvent être vectrices de paix dans la cité. Qu'on leur donne les moyens dont elles ont besoin ! Serait-ce offenser la laïcité que d'aider au financement des mosquées, des synagogues ou des églises ? Les musulmans, dans leur majorité, n'ont pas les moyens de construire les mosquées. A Gennevilliers, nous avons eu de la chance: les fidèles nous ont suivis, épaulés, aidés. La ville nous a également rendu grandement service. Mais nous sommes des privilégiés. Un choix est à faire. Est-ce que la société laïque nous aide à sortir des caves et de la clandestinité et à construire des mosquées dignes de ce nom - comme c'est notre cas - ou est-ce qu'elle s'en désintéresse? Ces lieux de culte dépourvus de dignité favorisent l'extrémisme. La communauté musulmane doit sortir des caves.

Même nous, à Gennevilliers, qui sommes des privilégiés nous n'avons pas pu mener à terme notre projet. Il a fallu prévoir deux étapes. Nous avons réussi à faire face au culte. Reste toujours la partie culturelle qui n'est pas même commencée. Cette deuxième étape est particulièrement importante. Elle est un pont entre la communauté musulmane et la société dans son ensemble. On s'est rencontré dans la mosquée mais c'est exceptionnel. Ce sera beaucoup plus habituel dans la partie culturelle.

Mohammed Benali




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