Les racines du DAESH :
Chiisme,
pour Mohammed Benali
Wahabisme, pour Boutros Hallaq
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Pour Mohammed Benali, les événements de l'été 2015 sont un épisode de l’hostilité congénitale entre sunnites et chiites.
Pour Boutros Hallaq, ils sont l’aboutissement d’un wahhabisme rampant et d’une politique occidentale contestable.


« Les fruits du chiisme »
Mohammed Benali

Le DAESH est une organisation terroriste.

Pour nous musulmans, l’histoire de l’islam nous aide à comprendre. On appelle ces organisations des Khaouarij, des « Sortants ». Ceux qui pensent que les musulmans sont des infidèles parce qu’ils ne suivent pas la ligne qu’ils ont eux-mêmes choisie. Tous les savants disent que DAESH et compagnie, Al-Qaïda et autres sont des Kharidjites ou, c’est la même catégorie, des Khaouarij. Ils ont la même méthode de travail, les mêmes croyances. C’est pourquoi, ils se permettent de tuer tout le monde. C’est l’égarement total.

Le problème c’est que l’on constate qu’ils s’emparent d’une grande partie de la Syrie et d’une grande partie de l’Irak... Les chiites, aidés, soutenus, armés par l’Iran ont commencé à tuer, à égorger, exterminer les sunnites d’abord. Toutes les mosquées des sunnites ont été démolies en Irak et ils ont tué tous les sunnites qu’ils trouvaient sur leur chemin. Cela a poussé les sunnites à se jeter dans les bras d’Al-Qaïda. Le responsable, Abou-Baker Al-Bagdadi, s’est ensuite autoproclamé Calife. Il a renié alors son appartenance à Al-Qaïda. Il en vient à considérer Ayman Al-Zahouari, le successeur de Ben-Laden, comme un mécréant. En réalité ce sont les chiites et l’Iran, qui sont derrière tout cela. Qui a soutenu les chiites, qui les a conseillés militairement sinon l’Iran ? Les sunnites ont dit : « On préfère la peste au choléra, le Daesh à l’Iran. » Soixante-quinze pour cents des mosquées sunnites ont été détruites. Les sunnites étaient égorgés comme des moutons.

Les chrétiens et les yazidis sont aussi victimes, bien sûr. Mais ce sont les chiites qui sont la cause du mal. Ils ont été méprisés sous Saddam. Ce qui se passe maintenant est une espèce de revanche. L’Iran est derrière l’Irak. Qui a installé le Daesh sur la moitié de l’Irak et de la Syrie ? Les sunnites sont pris entre les chiites et le Daesch : ils ont leurs milices. Aucun pays (Qatar, Arabie) ne vient les aider. Ils ne veulent pas entrer dans un conflit que personne ne maîtrise. L’Occident ne fait pas assez pour combattre le Daesh. Imaginez que Daesh menace un jour Israël. Comment réagiront les Etats-Unis et l’Occident ? Ils mettront toutes leurs forces pour arrêter le Daesh avant qu’il ne tente d’atteindre Israël. Si l’Occident, avec la Turquie, prend les moyens pour combattre le Daesh, en un mois le problème sera résolu. Mais la Turquie ne veut pas s’aventurer dans un conflit où sa population sera menacée. Je ne fais pas confiance à l’Iran : pour moi c’est la peste. Si la Turquie et les Etats-Unis étudient une condition pour combattre le Daesh, on s’en sort.

Mohammed Benali


D’un DAESH à l’autre ?
Boutros Hallaq

Après sa victoire fulgurante à Mossoul et au nord de la Syrie, DAECH a réussi à hypnotiser l’opinion occidentale essentiellement, me semble-t-il, par la dimension « universaliste » qu’il a su donner à son combat mis au service d’une vision surannée et monstrueuse de l’islam. En France, la stupéfaction a atteint son paroxysme, à la vue de ces « têtes blondes » d’origine chrétienne qui, le sabre brandi, étaient sur le point de décapiter des soldats syriens en plus d’un ressortissant américain. En fait, sa barbarie s’était manifestée quelques semaines auparavant, lorsqu’il a procédé à une totale purification religieuse, dans une région qui, depuis des millénaires, a fait de la diversité humaine le fondement de son existence. En cela DAECH a imprimé dans l’histoire de la région une rupture anthropologique pratiquement irréversible.

Le fruit d’une politique vieille de quelques décennies.

Il serait utile de rappeler à ceux qui ignorent les faits ou font semblant de le faire que, loin d’être une monstrueuse génération spontanée, DAECH est le fruit d’une politique régionale et internationale vieille de quelques décennies qui, par légèreté coupable ou calcul criminel, lui a préparé le terrain. Cette politique s’est mise en place avec la guerre américaine contre l’Afghanistan qui a servi de matrice à al-Qa’ida, constituée par d’anciens alliés du camp occidental travaillant de concert avec le wahhabisme du Golfe. En effet, son chef actuel al-Baghdadi n’est que l’héritier de cette mouvance qui de proche en proche s’est installée en Iraq et au Levant d’après l’expression consacrée. Son mouvement s’est renforcé par la suite grâce à plusieurs facteurs régionaux et internationaux. Mû par son désir de militariser le mouvement pacifique et citoyen de la jeunesse syrienne, le régime syrien a relâché de ses geôles les extrémistes islamistes vite devenus le fer de lance de cette formation. Il a pris de l’ampleur du fait de la politique confessionnelle du gouvernement irakien, qui a complètement marginalisé la population sunnite. Mais il s’est imposé réellement grâce au soutien direct ou indirect de l’alliance monarchies du Golfe - pays occidentaux (et à leur tête la France) qui, dans l’objectif de mettre l’Iran à genoux, a tout fait pour alimenter l’anarchie armée en Syrie afin d’abattre les alliés de l’Iran, le régime syrien et le Hizbollah libanais. Avec son stock d’armes sophistiquées obtenu directement ou par l’intermédiaires de groupes extrémistes ralliés à lui (des groupes entier d’al-Nosra), DAECH a pu mettre main basse, non sans quelques complicités, sur des équipements militaire ultra-modernes appartenant à l’armée irakienne et l’utiliser dans son attaque fulgurante. Depuis lors il se finance par la vente de pétrole via la Turquie notamment. Les différents services de renseignement avaient, par ailleurs, alerté depuis longtemps sur le soutien direct accordé par des « mécènes » du Golfe parfois en connivence avec des Etats.

Une excroissance de la pensée wahhabite

Sur le plan idéologique, nul ne peut contester que DAECH est une excroissance directe de la pensée wahhabite qui, après la guerre de 1967, a pris la tête d’une sorte de croisade d’islamisation rampante du monde arabe, mais aussi de certains pays d’Afrique et de d’Asie ; islamisation mise au service des dynasties régnantes, notamment en Arabie Saoudite et au Qatar, et de leurs clients occidentaux désireux de s’assurer un approvisionnement avantageux en pétrole et en gaz. Mais DAECH s’inscrit aussi dans une logique d’opposition à une politique, en cours depuis les accords Sykes-Picot (1916), visant, sous couvert de « mandat » à désintégrer la région pour mieux la dominer, conformément à une tradition classique bien éprouvée. Au passage, cela ne pouvait que faire le bonheur de la politique israélienne, qui a toujours travaillé à cette désintégration pour mieux assurer sa suprématie économique et militaire sur son voisinage s’étendant jusqu’au Pakistan. L’anarchie durable qui en a résulté justifiait aux yeux de DAECH la tâche qu’il revendique : réaliser à sa façon l’intégration totale de la région.

Quant au prix en vies humaines et destructions matérielles, DAECH ne fait que s’inscrire dans la logique en cours depuis un siècle. Il pourrait même se vanter de rester bien en-deçà des dégâts perpétrés par d’autres. Les millions de victimes dus aux deux guerres américaines contre l’Irak (les services de l’ONU avancent un million et demi d’enfants irakiens tués ou morts du fait de l’embargo), à la guerre Iran-Irak, aux différentes guerres civiles au Liban et Yémen et surtout en Syrie, sont sans commune mesure avec le nombre de victimes fait par DAECH. Il en est de même des destructions de villes entières, d’infrastructures économiques et de l’errance de vagues ininterrompues de réfugiés. Même la purification religieuse actuelle n’est que l’écho de la purification ethnique et religieuse à laquelle ont procédé tant Atatürk, et ce avec le consentement ou la complicité de l’Union Soviétique comme de l’Europe, que la politique israélienne depuis 1948 jusqu’à la colonisation rampante en cours. Tant et si bien qu’il ne serait pas incongru de dire que DAECH est l’enfant illégitime, l’héritier monstrueux d’une politique de longue haleine qui lamine les sociétés de cette région.

L’enfant illégitime d’une politique laminant ces régions

Il est clair que DAECH mène à son paroxysme une logique initiée bien avant lui. Mais il est vrai qu’il se singularise par une revendication sereine d’une barbarie fondée en droit divin imprescriptible. Pour combattre cette barbarie, il serait vain de s’attaquer à ses forces physiques tout en maintenant intact les facteurs à l’œuvre bien avant lui : volonté durable de désintégrer le Proche-Orient dont l’élément moteur reste le soutien à la politique israélienne, complicités criminelles avec les différentes dictatures qui se succèdent dans la région, alliance affichée et revendiquée avec le foyer principal d’obscurantisme qu’est le wahhabisme saoudien. D’ailleurs, d’après le rapport de force actuel et les objectifs suivis par la Coalition internationale contre DAECH, on peut craindre que la défaite de DAECH ne profite qu’au wahhabisme politique.

Tant que les Etats se réclamant de la démocratie privilégient leurs intérêts politiques et économiques au détriment de la justice, de la démocratisation et de la construction de sociétés civiles réelles, on peut redouter qu’après DAECH, ou même avec lui, la même logique n’accouche d’autres DAECH.

Boutros Hallaq
10/12/14


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